Sur StreetPress, le rédac' chef du Jordan Times se félicite des législatives de mardi avec l'entrée notamment de 13 femmes au parlement. L'élection est pourtant discréditée: le principal parti d'opposition avait décidé de la boycotter.
L’appel au boycott lancé par le Front d’action islamique (FAI) a-t-il été suivi ?
Samir Barhoum: Le boycott n’a que légèrement affecté les intentions de vote. 53% des Jordaniens ayant le droit de vote se sont rendus aux urnes soit plus de 1,25 millions de citoyens. Lors des précédentes élections, la participation variait entre 45 et 58%. Donc ce n’est pas mauvais: le taux de participation est équivalent à celui de démocraties avancées. Huit membres du FAI ont même outrepassé la décision de boycott de leur groupe car ils n’étaient pas convaincus de son bien-fondé. L’un d’entre eux vient d’ailleurs d’être élu à la Chambre des députés. Nous respectons leur décision mais espérions qu’ils participeraient aux élections. Nous pensons qu’il est bénéfique d’avoir une opposition forte au parlement.
Le FAI parle d’une participation réelle de 30%. Quel crédit apporter à ce chiffre ?
Le chef du FAI a dit qu’il soupçonnait que ces chiffres soient faux. Cependant, nous avions plus de 3.500 observateurs – nationaux et internationaux – mardi lors des élections. Ils étaient présents dans tout le pays, surveillant le processus du début à la fin. Après avoir parlé avec un certain nombre d’entre eux, ils ont confirmé que le processus s’était déroulé en toute transparence. Les journalistes étaient autorisés à pénétrer dans les bureaux de votes sans problème et il n’y a eu que des incidents mineurs. Les chiffres du gouvernement sont les seuls que nous avons et nous devons leur faire confiance.
Samir Barhoum – Bio Express
Samir Barhoum est diplômé de l’Université de Yarmouk (ville d’Irbid, au nord de la Jordanie), en anglais et littérature. Il a été directeur de l’Arab Media Institute, à Amman, et rédacteur en chef de Al Mashreq Al I’lami, un mensuel en langue arabe spécialisé dans les médias. Depuis avril 2007, il est le rédacteur en chef du Jordan Times , quotidien fondé en 1975 se définissant comme «indépendant». Ce quotidien est le seul publié en langue anglaise de Jordanie.
Quelles sont les raisons du boycott, alors que le FAI avait participé aux élections de 2007 ?
Les membres du FAI étaient contre le vote de la nouvelle loi électorale qui selon eux ne permet pas une représentation juste de leur poids politique réel dans le pays. Le gouvernement a essayé de les faire changer d’avis en leur proposant d’introduire la loi au parlement une fois les élections passées, pour que les députés nouvellement élus puissent voter. Il leur a expliqué que le meilleur endroit pour le dialogue se trouvait sous le dôme du parlement. Les dirigeants du FAI ont refusé et après quelques semaines de réflexion, ils ont maintenu leur décision de boycotter les élections. (…) Le Premier ministre a dit aux Jordaniens qu’il aurait adoré coopérer avec les islamistes pour aboutir à une loi différente. Mais faire une nouvelle loi et redécouper les circonscriptions aurait pu durer jusqu’à l’année prochaine alors qu’il fallait faire rapidement des élections anticipées après la dissolution de la Chambre des députés en novembre 2009.
Y a-t-il eu des changements significatifs dans les résultats de ces élections, en comparaison aux élections précédentes ?
Pour la première fois en Jordanie, nous avons 13 députées femmes. 12 d’entre elles ont été élues dans le cadre d’un système de quota, assurant une représentation minimum des femmes. Une députée a gagné hors quota, ce qui porte le nombre de députées à 13 (134 femmes étaient en lice sur 763 candidats au total, ndlr). Nous espérons que ces 13 députées vont travailler à l’amélioration de l’image des politiciennes en Jordanie, pour convaincre les citoyens de voter pour elles. (…) On ne peut pas dire qu’un parti politique en particulier ait gagné. Ce sont surtout des indépendants qui ont été élus. Au parlement, il y a 78 nouveaux venus, qui n’ont jamais été députés auparavant, sur un total de 120 sièges. Je crois que cela montre un désir de changement de la part des électeurs qui veulent voir de nouveaux visages. Les membres du parlement précédent ont essuyé un grand nombre de critiques. Les gens pensaient qu’ils ne faisaient que servir des intérêts particuliers.
Le Front d’action islamique (FAI) – Ze Story
« Le FAI est le bras politique des Frères musulmans, explique Samir Barhoum. Les Frères musulmans travaillent de manière légale en Jordanie depuis les années 1950 et ils ne sont jamais passés dans clandestinité comme dans d’autres pays. Avec la transition démocratique en place depuis 1989, ils ont créé un parti, le Front d’action islamique. Ce parti est une force politique légale en Jordanie »
Le FAI souhaite l’instauration de la représentation proportionnelle, et donc l’abolition du mode de scrutin uninominal à un tour actuel privilégiant les zones rurales qui forment l’essentiel des forces pro-gouvernementales, loyales au roi Abdallah II.
La transition démocratique en Jordanie
Le Royaume hachémite de Jordanie, selon sa dénomination officielle, est une monarchie constitutionnelle parlementaire. Depuis 1989 des élections législatives ont lieu tous les quatre ans pour élire les députés à la Chambre basse du parlement. Les sénateurs sont nommés directement par le roi, tout comme le premier ministre. Les élections de 1997 et de 2010 ont été boycottées par le Front d’action islamique, dont les protestations portent de manière récurrente sur l’iniquité des lois électorales. Il y a plus de 30 partis politiques en Jordanie, dont peu sont actifs.
La population s’est-elle sentie concernée par le scrutin ?
Mardi, les gens ont parlé des élections toute la journée. C’était à la télé, dans les journaux, sur Internet. Mardi a même été déclaré jour férié pour que tout le monde puisse voter. Les gens sont rentrés dans leur circonscription du nord et du sud grâce à des bus, tout cela pour voter. Pour les Jordaniens, ce n’était pas un jour comme les autres. Ce qui préoccupe le plus les gens est la situation économique, le chômage, la pauvreté. Ils souhaitent créer plus de postes, de meilleures infrastructures et de meilleurs services.
Comment jugez-vous la démocratie jordanienne ?
La Jordanie est en plein processus de démocratisation. A l’inverse d’autres pays dans le monde, nous avons commencé tardivement et nous apprenons. Cependant nous avons déjà la liberté de la presse, des élections, un parlement, des partis politiques. C’est juste un pas de plus sur la route d’une démocratie complète. Le parlement devrait avoir plus d’influence majeure que le dernier: il servait avant tout les intérêts personnels des députés. Il devrait être plus politisé et capable de travailler dans le domaine législatif de manière plus approfondie.
« Le taux de participation est équivalent à celui de démocraties avancées » Samir Barhoum, d’origine marseillaise
Source: Elsa Kissel | StreetPress
Crédit photo: Downtown Amman by Noodlepie | Flick’r Creative Commons
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