Expulsés de leur camp à Villeneuve-d'Ascq en octobre, 110 Roms s'étaient installés à la Bourse du travail. Le Tribunal administratif a ordonné leur relogement après une lutte de plusieurs mois.
Boulevard de l’usine – Lille (59). Le grand bâtiment gris et morne de la Bourse du travail est posé près des anciennes lignes de chemin de fer, dont les vestiges jonchent encore le sol devant l’entrée. Pourtant, depuis une semaine, ce sont la joie et le bonheur qui emplissent le visage des gens que l’on y rencontre. « Enfin, on a gagné, tout le monde est relogé, c’est vraiment un bon début d’année », s’enthousiasme Lazar, Rom arrivé en France il y a six ans.
C’est un calvaire de soixante-dix jours qui prend fin. L’évacuation musclée du camp de Rom du campus de l’université de Lille 1 à Villeneuve-d’Ascq le 28 octobre 2013 avait poussé les organisations syndicales du Nord à accueillir « une nuit ou deux » 110 roms dans les locaux de la Bourse du travail, siège de la CGT, FSU, CFDT et Solidaires entre autres. Depuis le 6 janvier, ils sont relogés dans des hôtels de la région.
Hygiène Pendant plus de deux mois, les Roms ont dormi tous ensemble dans la petite salle polyvalente à l’intérieur de la Bourse du travail. La situation sanitaire avait atteint un point inquiétant. « Il n’y pas de douche dans le bâtiment, nous sommes arrivés sans habits ni affaires, car tout a été confisqué, et les tensions entre nous sont de plus en plus fréquentes », nous racontait Caroline, 19 ans, enceinte de son second enfant. La journée, les adultes tournaient dans les couloirs, un café à la main. Les enfants, qui pour beaucoup ont été déscolarisés après l’expulsion, jouaient entre les bureaux et les salles de réunions, où on leur passe des mangas. La situation perdurait sans solutions, ballottée entre refus de la mairie de Lille et décisions de la préfecture, entre silence de la communauté urbaine et rendez-vous avorté avec la ministre du Logement.
C’est un référé-liberté qui a tout changé. Le 20 décembre, las d’un énième affront de la préfecture, les Roms saisissent le Tribunal Administratif de Lille, « pour contraindre le préfet à respecter les libertés fondamentales ». Ils mandatent une avocate pour « faire imposer par les voies légales à disposition une solution digne et humaine pour la totalité » des hébergés, détaille Lazar, devenu le leader de la petite communauté avec sa compagne Caroline grâce à son niveau de Français. Le référé-liberté permet à un juge, en cas d’urgence, d’ordonner les mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une collectivité publique aurait porté une atteinte grave et illégale dans l’exercice d’un de ses pouvoirs.
Syndicats La procédure est entamée « avec le total soutien » des organisations syndicales, qui au départ s’étaient bien défendus de s’en mêler. Le jour de l’expulsion en octobre 2013, certains soutiens – également syndicalistes, soufflent l’adresse de la Bourse du travail, où l’on assure qu’ils seront accueillis. A leur arrivée, on leur ouvre la porte, mais la main est un peu forcée. Les Roms s’installent dans les salles et les bureaux mais ce relogement, au départ pour quelques jours seulement, s’éternise.
Depuis, tout fonctionne au ralenti dans la structure, où plusieurs événements prévus de longue date ont été annulés. « Même si leur soutien est sincère et indéfectible, certains membres de l’intersyndicale n’en peuvent plus… Une bourse du travail ça ne sert pas à ça », confie un membre d’un collectif de soutien aux Roms qui préfère rester anonyme. Une exaspération que les syndicalistes se cachent bien d’exprimer en public pris entre le désir de lutte et de défense des droits de l’Homme et leurs obligations.
Back to school Aujourd’hui, le ton est bien différent. Même si l’Union Syndicale Solidaire se dit « satisfaite » par la voix de son secrétaire général, Vladimir Nieddu, elle n’en reste pas moins « préoccupée ». « Nous nous réjouissons du jugement concernant les 20 familles présentes ici. Mais il y a encore six personnes à qui on n’a proposé aucune solution, insiste le porte-parole. De plus, l’hébergement d’urgence se fait au détriment d’une autre liberté fondamentale : le droit à l’éducation. » Car les enfants actuellement scolarisés devront être réinscrits à nouveau, entrainant ainsi de nouvelles procédures d’inscription.
Les Roms de Villeneuve-d’Ascq préfèrent voir le bon côté, et pensent au « nouveau départ » qui leur est offert. Lazar est heureux, lui qui attend la naissance de son second enfant sous peu. « On attendait le 1er janvier 2014 depuis longtemps pour enfin travailler librement maintenant ( date de la fin des mesures restrictives sur l’emploi des Roumains et de Bulgares, ndlr), on va être logé dans des hôtels avant d’avoir un vrai appart. On a gagné ! ».