25/10/2010

Récit minute par minute d'une journée de mobilisation avec un syndicat lycéen

Comment s'organise une manif lycéenne ?

Par Maud Mazaniello

Massira, Mohammed, Leila: depuis la rentrée 2010 ils sont les « cadres » du syndicat lycéen Fidl. Entre premières interviews, banderoles improvisées et problèmes d'ampli, la rentrée 2010 c'était aussi leur dépucelage militant.

9h00: C’est Mohammed Hussein, permanent de la Fidl, qui m’accueille devant le local du syndicat au 43 quai de la Seine. Premier coup de fil de mise au point pour s’informer sur les manifestations qui ont lieu partout en France et notamment à Lyon. Mohammed appelle Tristan, un autre permanent de la Fidl, pour savoir où il est. En attendant, direction les locaux de SOS-Racisme pour patienter au chaud.

9h15: Trois rues plus tard, on arrive chez les voisins et cousins de SOS-Racisme où un petit capuccino nous réchauffe le gosier. Marcial – un vieux de la vieille de chez SOS – trouve les jeunes bien matinaux: « Ben vous vous levez tôt, comme dit la presse ! Vous êtes les jeunes qui se lèvent tôt! ».

9h20: Nous sommes cinq dans les locaux de SOS-Racisme, je rencontre Farid – militant « Touche pas à mon pote » – qui a vu naître la Fidl. Il est considéré comme le grand frère du syndicat et reste persuadé que la mobilisation des jeunes va gagner le pas sur les retraites : «Vous allez voir, le retrait de la réforme des retraites va avoir lieu. Comme pour le CPE

9h26: «Merde, on n’a pas de brassards !», panique un des organisateurs alors que les équipes sont en plein inventaire. À chaque problème, une solution : «On va chercher du tissu à Barbès !». Les brassards sont importants car ils vont permettre à la sécurité et aux militants de se reconnaître dans la foule pour gérer la manifestation. Farid expose les talkie-walkies sur la table centrale de réunion afin de vérifier leur état.

La Fidl – Ze Story

La Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne est née en 1987. Ce syndicat a été créé par des étudiants militants de SOS Racisme, après la victoire des lycéens dans le mouvement contre la loi Devaquet de 1986. La Fidl mobilise les lycéens et agit pour les conditions d’éducation au lycée, dans toute la France. À la tête de l’organisation, depuis le 5 juin 2010, Massira Baradji – lycéen de 19 ans – défend le mouvement contre la réforme des retraites avec l’aide des permanents de la Fidl.

« Même si certains savent pas pourquoi ils manifestent, au moins ils sont solidaires avec leurs camarades » Lassana, 18 ans

9h30: Arrivée de Monsieur le Président de la Fidl Massira Baradji. Il sera vite rejoint par deux journalistes de France 4 qui le suivent « depuis lundi, avec un micro qu’il porte toute la journée … Ils entendent tout ce qu’il dit… » m’apprend Leila Boubekeur – secrétaire générale de la Fidl. Une petite réunion pour savoir « qui fait quoi » s’improvise – préparer le matériel, la sono etc. – mais le gros boulot a été fait la veille. « Tout a été fait en avance pour une fois », rigole Mohammed.

9h42: Farid nous raconte quelques anecdotes sur le combat qu’il mène depuis 26 ans contre le racisme. Pendant ce temps, Massira voit avec les journalistes de France 4 s’ils le suivent pour l’interview qu’il donne à Libération à 11h.

10h00: Tout le monde se concentre sur le dispositif de sécurité, le «SO» pour service d’ordre. « Du camion, on a une vue d’ensemble sur le cortège » précise Mohammed.

10h07: Massira rappelle que la Fidl est indépendante: « Il ne faut pas que les partis politiques aient une main sur le syndicat. Ce sont uniquement les adhésions qui financent la Fidl. On va dire bonjour à la gauche lors des manifestations pour être politiquement corrects ». Le Président, interrompu par son téléphone, s’adresse à Mohammed: «Tu peux répondre à ce texto ? Car je sais pas par où on passe [parcours de la manifestation ndlr]. C’est Julia Delage de BFM».

Top 5 – les banderoles en tête du cortège.

1 – Le distingué: «Carla, on est comme toi, on se fait baiser par le chef de l’état» 
2 – Le pragmatique : « Mamie, tu me racontes une histoire ? Non, je vais travailler…» 
3 – Le technique : «Étudiante à 20 ans, Chômeuse à 25 et précaire à 67 ?»
4 – Le recyclé : «Sarkozy t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ! »
5 – Le tiré-par-les-cheveux : «Sarko Fillon casseurs de social» 

10h19: Mohammed est inquiet: « On avait prévu 10h pour charger le camion, et il est 10h15. On est super en retard ! ». Le chargement du camion va commencer: « Et elles sont où les clés ?! »… Il faut retourner à la Fidl pour prendre le matos. Quand les militants quittent SOS-Racisme, Rachida – qui s’occupe de l’accueil et du standard de l’association – lance d’un air maternel « faîtes attention à vous ! Je suis inquiète quand ils partent ».

10h42: le chargement est presque terminé mais la boîte des amplis pose problème: «Elle ne se ferme pas et pèse une tonne ». Tristan – permanent à la Fidl – arrive à la rescousse et après quelques coups de marteau parvient à fermer la boîte.

10h49: Dernière vérification avant d’aller acheter les vivres pour la journée: « Il n’y a pas tout, il manque les câbles !» «Et les banderoles, elles sont où les banderoles ? – Ah oui les banderoles ! » L’heure H se rapproche en même temps que la tension monte.

11h00: Le chargement est bouclé, on attend Blaise le responsable des étudiants à SOS-Racisme pour les packs d’eau. Pendant ce temps deux lycéens de seconde sont arrivés de Montgeron (91): Romain et Shun veulent aider.

La Playlist de la manif:

Snoop Dog – Sean Paul – Black Eyed Peas – Soprano – L’algerino – Rihanna – Stromae – Lord Kossity – Magic System ou encore Busta Rhymes.

« C’est une vieille tradition le mouvement lycéen, en 68, ce sont les lycéens qui ont commencé à bouger » André 70 ans et retraité

11h22: Direction Jussieu en camion, pour le départ de la manifestation

11h40: Premier barrage de la police à République. Mohammed et Farid demandent aux policiers un itinéraire pour se rendre à Jussieu. Le policier blague « c’est pour aller à la manif ? On ne vous dit pas alors ! » Il finit par détailler l’itinéraire, aussi précis qu’un Tom-Tom.

11h56: Arrivée à Jussieu. L’équipe de la Fidl commence à mettre en place la sono, les ampli et tout le matériel. La place se remplit progressivement.

12h41: Le DJ de la Fidl balance du Black Eyes Peas pour faire patienter les manifestants. Certains dansent un peu pour se réchauffer en attendant le début du défilé.

13h12: Le brief du service d’ordre commence. Marouane – militant-responsable des étudiants à SOS Racisme- est le responsable du SO pour l’occasion. «On s’organise avec des anciens de la Fidl et des militants d’autres organisations. On va faire un maximum d’encadrement pour qu’il n’y ait pas de problème avec les casseurs qui viennent sans aucune revendication. On les gardera à l’écart »

« Il y en a qui bloquent leur lycée, mais ils ne savent pas pourquoi. C’est à nous d’expliquer la réforme » Mohammed Hussein 20 ans, militant depuis 2008 et permanent à la Fidl

De 13h35 à 16h22: La manifestation réunit 17.000 lycéens et étudiants selon les syndicats. Pour la police, ils n’étaient que 4.000. Le parcours, de Juissieu à Denfert en passant par la Place d’Italie, s’est déroulé sans encombres. En grande partie grâce au service d’ordre qui a empêché quelques débordements.

16h40: Malgré un énième appel à la dispersion de la part de la Fild, un groupe de manifestants n’est pas rassasié et rejoint des militants adultes de l’autre côté de la place Denfert-Rochereau.

17h05: Retour en RER au local de la Fidl avec une vingtaine de militants pour l’AG post-manif’.

17h25: Peut-être à cause de la fatigue, les militants prennent la mauvaise direction du RER. «C’est pas grave, on a le temps », soupire Mohammed, les jambes apparemment très lourdes. Tous changent de quai après deux stations en sens inverse. Comme après une victoire, des chants joyeux plus fort que la fatigue remplissent le wagon des militants.

18h00: On arrive enfin au local de la Fidl pour commencer l’AG. L’ambiance est décontractée, chacun donne son avis sur la manifestation, tous satisfaits de la sécurité et du nombre de participants.

« Moi la première semaine de vacances, je peux pas, je suis chez mon père dans le nord » Shun, 15 ans

19h04: Mohammed compte les fiches contact remplies durant la manifestation.

19h26: Massira modère l’AG de son bureau car il est occupé à rédiger le communiqué de presse: « Je dois l’envoyer là ce soir, pour qu’on en parle dès ce soir dans les 20 heures ». Son portable ne cesse de sonner, pendant qu’il répond aussi sur son Facebook … Tout ça, ne l’oublions pas, toujours face à la caméra des journalistes.

19h31: L’AG est finie, mais la journée des permanents du syndicat n’est pas terminée pour autant: Ils doivent « débriefer » entre eux. « On pense finir vers 23 heures (…) De toute façon dès qu’il y a mobilisation, on n’a plus le temps de voir sa famille », explique Leila, pas plus attristée que ça. Pour Massira, c’est « un peu compliqué d’un point de vue familial », ce sont ses trois dernières semaines ont été full.

« Le mouvement lycéen est hyper médiatisé, c’est vendu politiquement, mais ce n’est pas grand chose pour le moment ! » Alain 52 ans, patron d’une PME et membre de l’UMP

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Source et photos: Maud Mazaniello | StreetPress