20/10/2013

On a retrouvé les seuls étudiants nord-coréens en échange en France

A Paris, des « Erasmus » nord-coréens presque normaux

Par Robin D'Angelo

C'est un programme officieux du Quai d'Orsay: La France accueille 10 étudiants de Corée du Nord en architecture. StreetPress a remonté le fil du programme, trouvé la liste des étudiants et… dîné avec le représentant du régime à Paris.

« Franchement, quand on m’a dit qu’il y avait un étudiant nord-coréen dans mon TD, j’ai vraiment cru qu’on se foutait de moi ! » Antonin, en 2e année d’architecture, se souviendra longtemps de sa rentrée 2012 : Pour sa première année de licence à l’école de Paris-La Villette, l’étudiant a eu la bonne surprise d’avoir comme camarade de classe un élève tout droit venu de… Corée du Nord ! Plus fort que le neveu de Kim Jong-Un inscrit à Sciences Po au Havre, StreetPress a retrouvé les 10 seuls étudiants nord-coréens en échange universitaire en France.

Des étudiants de Corée du Nord dans les écoles d’architecture françaises ? C’est un programme dans les zones grises de la diplomatie : Depuis 2002, la France forme en catimini des architectes nord-coréens. Au Quai d’Orsay, on ne laisse sortir aucune info sur un quelconque programme de coopération universitaire tandis que le ministère de l’Intérieur affirme n’avoir délivré que 3 visas étudiants à des citoyens nord-coréens en 2012.

Pourtant ils sont bien 10 jeunes étudiants nord-coréens à étudier en ce moment l’architecture dans les écoles de Paris-Belleville et Paris-La Villette. StreetPress a retrouvé les diplomates qui ont initié le programme de coopération au début des années 2000 et obtenu des courriels officiels qui montrent l’implication du Quai d’Orsay ainsi que… la liste des étudiants nord-coréens en échange en France.

Antonin, lui, ne revient toujours pas de la liberté dont jouissent ses petits camarades nord-coréens sur le campus malgré le verrouillage à triple-tour de leur pays :

« Ils sont vraiment très sympas ! Et dans l’école, ils sont tout à fait intégrés. Comme les autres étrangers. »

Mascottes

S’ils ont refusé nos demandes d’interview, StreetPress a quand même pu tailler le bout de gras avec certains élèves nord-coréens le 2e jour de la rentrée, mardi 1er octobre. Ce jour-là, les 5 garçons de l’école venus de Pyongyang sont au premier rang de l’amphi, assis en rang d’oignons. L’un d’entre eux, un ado au visage poupon, tue le temps en pianotant sur un smartphone (de marque sud-coréenne) pendant que ses camarades s’ennuient en silence.

Des dictaphones sont déjà installés sur leur pupitre alors que le cours n’a pas encore commencé. Mais à part ce détail, impossible de différencier le petit groupe des autres étudiants asiatiques de l’école. Camille*, étudiant en 2e année, s’amuse de la façon dont les Nord-coréens se sont intégrés à la fac :

« L’année dernière pendant les partiels, ils ont pris les énoncés des sujets en photo et pour les rattrapages, ils les ont postés sur le Facebook de la promo. Tout le monde était content ! »

Antonin, 19 ans, en dit un peu plus sur sa complicité avec un des élèves qu’il a côtoyé lors d’un travail de groupe :

« Il n’arrête pas de me faire de clefs de bras. Je lui ai appris des expressions comme “tu vas mourir”. Il dit ça en prenant un air inquiétant et il m’attaque. Ça nous amuse beaucoup ! »

Des étudiantes avec un calendrier offert par leurs camarades nord-coréens. / Crédits : CC.

Catimini

A Campus France, l’organisme semi-public qui s’occupe de la prise en charge des étudiants étrangers, on refuse de communiquer sur l’accueil des Nord-coréens. La direction de l’école de Belleville nous envoie aussi sur les roses. Joint par StreetPress, le Quai d’Orsay se borne à répéter que « la France n’entretient pas de relations diplomatiques avec la Corée du Nord » avant d’assurer qu‘« il n’existe pas de programme de coopération universitaire. »

Pourtant, StreetPress a en sa possession un échange de mails daté de février 2012 dans lequel le ministère des Affaires étrangères demande explicitement au ministère de la Culture d’intervenir auprès des écoles d’architectures – qui sont sous sa tutelle – pour accueillir les étudiants nord-coréens. Florence Touchant, directrice de l’école de La Villette, le confirme :

« C’est un programme qui nous a été un peu imposé, sans qu’on ait vraiment notre mot à dire. »

Programme de coopération

Joint par StreetPress, Jean-Noël Juttet nous en dit un peu plus sur le programme de coopération secret. A l’époque attaché culturel à l’ambassade du Japon, il a été le principal artisan de la mise en place du projet, pour lequel il s’est rendu 8 fois à Pyongyang entre 2000 et 2003. Le fonctionnaire, aujourd’hui retraité à Séoul, se souvient :

« J’avais été missionné par le ministère des Affaires étrangères avec l’objectif d’évaluer des hypothèses pour maintenir le contact entre les deux pays. On s’est rapidement tourné vers le domaine de l’éducation. J’ai apporté à des gradés nord-coréens tous les catalogues de nos formations… et ils ont choisi l’architecture ! »

En 2002, une première promotion de 10 étudiants nord-coréens arrive en France pour 7 ans. Pendant un an, ils suivent des cours de mise à niveau en français à la fac de Besançon. Avant d’être dispatchés dans 4 écoles d’architecture où ils effectuent une scolarité complète de la L1 au M2. L’expérience est renouvelée en 2011 : 10 nouveaux étudiants nord-coréens sont envoyés en France, cette fois dans les écoles d’architecture de Belleville et de La Villette après un passage d’un an à l’ILCF Paris pour apprendre le français. Ils y suivent l’intégralité des cours et TD comme tous les autres élèves. Retour prévu en 2018, à la fin de leur cursus.

Régime totalitaire

Pourquoi un programme de coopération en catimini ? Joint par StreetPress, Pierre Rigoulot, directeur de l’Institut d’Histoire Sociale et spécialiste de la Corée du Nord, rappelle qu’avec le pays des Kim « les relations officielles et le relations officieuses ne coïncident pas » :

« Ce n’est pas facile à admettre qu’on dialogue avec eux. La RPDC est quand même un régime totalitaire et répressif. Le gouvernement ne veut pas donner l’impression qu’il ferme les yeux là-dessus. »

D’autant plus que la France semble avoir cédé aux requêtes des hommes forts du régime. Jean-Nöel Juttet, l’homme qui a joué les intermédiaires entre Paris et Pyongyang, se souvient que la France était prête à former des étudiants dans « des secteurs prioritaires comme la médecine, l’agro-alimentaire et le BTP mais certainement pas l’architecture » :

« L’architecture, c’est une demande nord-coréenne qui venait de tout en haut. Ils ont tellement insisté qu’on a fini par dire d’accord. »

En contrepartie, l’engagement financier de la France est à minima : le pays loge les étudiants dans une résidence universitaire et paie l’assurance maladie. Mais il ne finance pas les bourses, ni les frais de scolarité.

Pyongyang on ice

L’architecte Laurent Salomon

D’après Jean-Noël Juttet, la ville de Pyongyang serait actuellement en pleine transformation. Kim Jong-Un voudrait en faire une vitrine avec des édifices modernes comme l’hôtel Ryugyong, un immeuble triangulaire de 330 mètres de haut, achevé en 2012. Un delphinarium et un centre sportif ont aussi été ouverts en 2013, pour faire entrer le pays dans « une nouvelle société de loisirs. »

A Paris, ce sont bien les futurs architectes du régime qui sont accueillis. Laurent Salomon a formé pendant 18 mois un des élèves de la première promotion dans son agence d’architecture, dans le cadre d’un stage. Son apprenti a été le directeur d’étude de la nouvelle patinoire de Pyongyang, inaugurée en grande pompe en 2012. Joint par StreetPress, l’architecte ne tarit pas d’éloges sur son ancien élève :

« Il était d’un niveau exceptionnel. C’était quelqu’un de vif, d’adaptable et extrêmement sympathique. »

A Pyongyang, Jean-Noël Juttet, l’homme qui piloté la mise en place du programme de coopération, a participé à la sélection drastiques des 10 élus :

« Des élèves exemplaires ! Ils étaient issus des meilleures écoles du pays. Là-bas, on identifie très jeune leurs capacités. »

Tous sont des garçons et viennent de la capitale. « Les résidents de Pyongyang sont forcément des privilégiés du pouvoir », rappelle l’ancien fonctionnaire. Chez les élèves de La Villette, « les montres en or massif » aux poignets des étudiants nord-coréens ont fait forte impression. Camille fait, lui, valoir que ses camarades communistes « dessinent comme des Dieux ». Même s’il met un bémol quant à la créativité des enfants prodigues:

« Je me souviens que lors d’un exercice d’inventivité, il avait été incapable de dessiner autre chose qu’un gros immeuble carré. »

La patinoire de Pyongyang, dont la construction a été supervisé par un architecte formé en France. / Crédits : CC.

Win-win

En octobre dernier, StreetPress a eu l’honneur de dîner en petit comité avec « son excellence » Yun Yong-il, le plus haut représentant du régime en France. D’habitude discret avec les médias français, le représentant de la RPDC à l’Unesco a tenu à faire passer un message en remerciant avec insistance « le peuple français et le gouvernement pour l’accueil des étudiants. »

Derrière l’échange universitaire, c’est aussi une partie d’échecs entre diplomates qui est en cours. Le spécialiste Pierre Rigoulot analyse :

« Les échanges sont pour eux une façon de légitimer et de faire reconnaître le régime de Pyongyang. C’est pour ça qu’ils remercient la France de ses efforts. L’objectif auquel ils sacrifient tout, c’est l’ouverture d’une ambassade à Paris. Ce serait une petite victoire pour le pays. »

Benoît Quennedey, à la tête d’une petite association de lobbying pro-Corée du Nord , assure, lui, que le pays est « extrêmement désireux » que soient mis en place d’autres « échanges » universitaires. A StreetPress, il se plaint de ses échecs répétés à chaque fois qu’il contacte une école française pour proposer d’accueillir des étudiants nords-coréens :

« La Corée du Nord ne comprend pas pourquoi ils ont une si mauvaise image ici. Et c’est légitime ! Ils n’ont jamais déclaré la guerre à la France ! »

Pierre Rigoulot rappelle que la France peut aussi tirer des bénéfices de ces échanges :

« On ne peut pas envoyer des informations en Corée du Nord, alors accueillir ces jeunes étudiants est une des rares opportunités de communiquer vers le pays. Sur le long terme, ça peut être un moyen de faire évoluer les choses. »

Benoît Quennedey (au centre), lobbyste pro-Corée du Nord, avec l’équipe de l’université d’architecture de Pyongyang. / Crédits : CC.

Flicage

Dans ce contexte tout plein d’enjeux, le séjour des étudiants nord-coréens à Paris ne ressemble pas vraiment à un échange Erasmus. Catherine Comet, la responsable pédagogie de l’école de La Villette, raconte comment la délégation de Corée « cornaque les petits » :

« Concrètement, il y a souvent eu un homme asiatique en complet qui attend dans la cour. Il vient voir s’ils sont présents à l’école, s’ils ont de bons résultats. »

Parmi les étudiants, il y a aussi « un leader » qui s’occupe de l’intendance pour tous les autres. StreetPress a obtenu un document du Cnous qui liste l’état civil des élèves nord-coréens de La Villette. Dans la promo 2013, ils ont tous 22 ou 23 ans, sauf un qui a 28 ans. Le document nous apprend aussi que cet étudiant a passé 7 ans dans l’armée nord-coréenne.

Un camarade nord-coréen a lui expliqué à Antonin qu’il doit se rendre tous les samedi matins à la permanence de la délégation à Paris, « officiellement pour relever son courrier ». Les étudiants vivraient tous ensemble dans une résidence universitaire du Nord de Paris. Catherine Comet a été marquée par un autre souvenir qui illustre la pression qui pèse sur ces élèves :

« Un étudiant devait redoubler et un diplomate est carrément venu me voir en me disant que c’était une honte et qu’il fallait faire quelque chose. C’était impossible de lui faire comprendre que redoubler n’est pas un déshonneur…»

Une autre fois, c’est un représentant de la délégation qui vient voir le directeur de l’école pour passer les rattrapages… à la place d’un élève qui n’avait pas validé son année ! « On n’a plus jamais revu l’élève ! On espère qu’il n’a pas fini au goulag », rit jaune Catherine Comet.

John Le Carré

Sur le campus de la fac de La Villette, la vie étudiante a parfois des faux-airs de guerre froide. Catherine Comet, la responsable pédagogique de l’école, se souvient que les élèves de la première promo « portaient un pin’s à l’effigie du grand leader sur leur veston pendant les premiers mois. » Laurent Salomon, architecte et prof à Belleville, avait pris un des élèves en stage de son agence : « Du jour au lendemain il a été rappelé au pays pour préparer les funérailles de Kim Jong-Il ». Antonin, regrette, lui, l’absence « d’esprit critique » de son camarade nord-coréen :

« Une fois, on lui a demandé pourquoi internet était bloqué dans son pays. Il nous a répondu que c’était à cause des Américains, qu’il ne fallait pas que les Coréens voient toute la propagande américaine qui était dite sur eux… »

L’école accueille aussi des étudiants sud-coréens. Mais bien qu’ils fréquentent assidûment les Nord-coréens, la grande majorité refuse de nous parler du sujet. L’un d’entre eux soutient qu’ils sont surveillés. Un autre que beaucoup d’étudiants sud-coréens de l’école ont été contactés par les services secrets de leur pays afin d’espionner leurs cousins du Nord. Jung Ho, étudiant séoulien de 29 ans, accepte d’en dire plus sur cette paranoïa sud-coréenne :

« Quand j’ai dit à mon père qu’il y avait un Nord-coréen dans ma classe, il ne voulait pas que je le fréquente et m’a demandé de faire très attention. Car en Corée du Sud, si tu es à gauche politiquement et que tu côtoies des gens du Nord, tu risques la prison. »

Ghostbusters

A l‘« Asso 6 », la principale association étudiante de La Villette, personne n’est au courant de l’existence d’étudiants nord-coréens dans l’école. Même chose au « Bellasso » à Belleville, qui organise pourtant chaque année un évènement pour accueillir les étudiants étrangers de la fac. En plus d’un an de camaraderie, Antonin n’a jamais vu son pote nord-coréen en dehors des cours :

« Hier, je l’avais invité à la fête pour les Erasmus. Il m’a dit qu’il viendrait mais il n’est jamais arrivé. Pareil la semaine dernière pour la Nuit Blanche : On devait se retrouver dans Paris mais impossible de le contacter. Ils ont toujours un prétexte quand on veut les voir dans un autre contexte que les cours. »

Quant à Camille, il est très frustré que son ami communiste ne lui ait pas raconté ses vacances d’été à Pyongyang, au moment de leurs retrouvailles à la rentrée 2013 :

« Quand on leur pose des questions sur leur pays, ils sont toujours évasifs. A chaque fois, tu crois que tu vas apprendre des trucs. Mais en fait que dalle.»

Camaraderie

Les étudiants français ont quand même atteint un certain degré d’amitié avec leurs alter-egos nord-coréens. Mardi 22 octobre, c’est la sortie des cours à l’école de la Villette. Antonin et Kyong-Il Ma chahutent et se chambrent à propos des bombes atomiques de Kim Jong-Un. L’étudiant nord-coréen n’a aucun problème à prendre la pose avec son copain français pour une photo de StreetPress. Par contre, il se fait plus discret quand on l’interroge sur lui ou son pays. Antonin, lui, a recueilli quelques-unes de ses confidences :

« Il clope depuis ses 12 ans et il arrive à fumer des cigarettes par l’intérieur de sa bouche. Il m’a raconté qu’il avait appris à faire ça dans son école là-bas, pour se cacher des profs. »

Camille raconte une anecdote qui ferait passer les Nord-coréens pour des étudiants presque comme les autres :

« Ce qui m’a le plus marqué chez eux c’est l’efficacité avec laquelle ils trichent. Ils sont super bien organisés ! Comme ils ont le dictionnaire franco-coréen sur la table, ils mettent des anti-sèches dedans ! »

Warning * Le prénom a été modifié