05/12/2011

Du maquis à l'Assemblée

Christiane Taubira: « La première fois de ma vie que j'ai voté, c'était pour moi »

Par Samba Doucouré

Sur StreetPress Christiane Taubira explique pourquoi elle était « indépendantiste et anti-électoraliste » jusqu'à ce que le « peuple » guyanais ne la « demande ». En janvier vous la verrez dans le documentaire Noirs de France sur France 2.

Vous apparaissez dans le documentaire Noirs de France. Que pensez-vous du résultat final ?

L’intérêt de ce documentaire sur les Noirs de France c’est justement de montrer qu’il y a une histoire de ces personnes là qui est liée à l’histoire de France. Je pense que le sujet est totalement opportun dans une année d’élection présidentielle. Il rappelle au sommet de l’État qu’il soit de gauche ou de droite que la société française est plurielle. Elle est plurielle parce que son histoire est plurielle. Le film parle de populations intégrées à la société. Intégrées au sens de l’insertion sociale, je ne parle pas de l’intégration telle que l’UMP en parle : niveau de français, niveau de scolarité… ça c’est une imbécillité absolue. Ce n’est pas ça la République, ce n’est pas ça la démocratie. La démocratie c’est accepter les règles qui sont valables pour tous, la République c’est faire cause commune, c’est faire société.

Respect Mag a également sorti le mois dernier un numéro 100 % Noirs de France. L’hebdo Marianne y voit là « une profession de foi communautariste »

Marianne fait un raccourci que ce numéro ne fait pas. Respect Mag ne fait pas la promotion des Noirs en tant que communauté au-dessus des autres. En fait dès que vous parlez des problèmes de la société on vous renvoie au communautarisme. Mais qui vous renvoie au communautarisme ? Ces gens qui sont entre eux, qui font l’opinion publique avec leurs journaux, qui font de la cooptation, qui se nomment entre eux, qui vivent entre eux. Ce sont ces gens-là qui accusent les autres lorsqu’ils cognent à la porte de la République. Moi c’est un argument qui ne m’intimide pas.


Christiane Taubira | Qui es-tu ?

1952 : Christiane Taubira naît le 2 février à Cayenne en Guyane française.
1993 : Elle est élue députée de Guyane, toujours fonction depuis.
1995 : Auteur puis rapporteur de la loi d’interdiction des mines anti-personnel.
2001 : Auteur de la loi visant à reconnaître la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité.
2002 : Candidate à l’élection présidentielle sous l’étiquette du Parti radical de gauche elle recueille 2,3

des suffrages.
2011 : Elle soutient François Hollande pour la campagne présidentielle de 2012.%

Croyez-vous en l’existence d’une communauté noire française ?

Personnellement, je ne crois pas qu’il y ait une réalité des Noirs de France. Parce que ce sont des trajectoires très différentes et très composites. Des personnes, qui sont issues de la 3e génération de l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne, ce n’est pas la même chose que les gens qui viennent de l’ Outre-mer.

Tous les deux jours je devais changer de lieu, tout en trimbalant un bébé de deux mois

Le concept de « Noirs de France » les rassemble tous pourtant

Justement je l’ai dit à Pascal Blanchard (ndlr : un des auteurs du film) que c’est un rétrécissement de dire « Noirs » mais il y a une réalité dans la société. Ce qui est intéressant dans le documentaire c’est qu’on voit bien que les trajectoires sont différentes. Ce qui compte c’est qu’on comprend les processus menés face à la présence de ces gens là. On se rend bien compte que ça n’a pas de sens. La France doit arrêter ses conneries, les élites politiques françaises doivent arrêter de ne voir que des Noirs dans les banlieues. Lors des émeutes de 2005 au lieu de voir ça comme un grand mouvement d’insurrection sociale, ils y ont vu un mouvement de protestation de Noirs, d’Arabes etc.

Dans Noirs de France vous dites que, étant jeune, vous étiez indépendantiste…

Pas seulement jeune, je le suis encore

Si vous luttez ici pour que les Guyanais soient vu comme des Français comme les autres, cela va à l’encontre d’un discours indépendantiste. Il y a là une contradiction

Moi je n’ai pas un discours indépendantiste, j’ai une pratique militante indépendantiste, ce n’est pas la même chose. J’ai vécu en clandestinité. Tous les deux jours je devais changer de lieu, tout en trimbalant un bébé de deux mois. J’ai pris des risques, mon époux a été en prison pendant un an et demi. Mes autres camarades ont été emprisonnés. Donc ce n’est pas une question de discours, c’est une pratique politique. Ça c’était jusqu’en 1982. Pourquoi ? Parce qu’en 1981, quand la gauche est arrivée au pouvoir les Guyanais ont dit qu’ils laissaient tomber les histoires d’indépendance. Les gens n’étaient pas indépendantistes mais ils acceptaient le débat. Régulièrement ici, le gouvernement emprisonnait les indépendantistes et les gens étaient solidaires. Ils n’étaient pas d’accord mais ils étaient solidaires. En 1981, ils ont dit: « C’est bon, la gauche ce n’est pas colonial, c’est fini ». On a tenu pendant un an et en 1982 moi j’ai arrêté de militer. Ce n’est pas une question de discours chez moi.


(Flickr CC |h de c)

L’histoire ce n’est pas de la théorie, ce sont des gens

En Guyane il n’y a plus de mouvement indépendantiste ?

Il y a un mouvement indépendantiste, il va plus souvent aux élections que moi: vous parliez de contradictions ? En 1992 lorsque je me lance dans la campagne des législatives, c’est parce que les gens ont organisé un mouvement populaire autour de moi, me demandant d’aller me présenter. La première fois de ma vie que j’ai voté, c’était pour moi en 1993. J’étais indépendantiste, anti-électoraliste. Mais quand on a une demande d’un peuple… J’aurais pu dire « je suis indépendantiste, j’ai raison, je reste chez moi ». J’étais directeur de société avant d’être élue député. Je n’ai pas besoin de notoriété. Je donnais des conférences internationales. Je venais de signer un contrat de professeur-chercheur avec l’Université de Montréal. Je ne suis pas dans une contradiction politique. En 1992 cela faisait dix ans que nous avions arrêté de militer.

Il se murmure que la loi Taubira – qui reconnait la traite des Noirs et l’esclavage comme un crime contre l’humanité – est menacée. De qui proviennent ces menaces ?

Elle a toujours été menacée. Je mène des combats politiques, cela veut dire que j’ai des adversaires. En 2005, il y a une quarantaine de députés UMP qui ont signé un papier demandant l’abrogation de la loi. Toute une série de soi-disant philosophes et historiens ont passé leur temps sur les médias à expliquer que c’est scandaleux, que c’est la honte de la France etc. Cela ne me fait ni chaud ni froid, ça fait partie du débat. Ce qui est important pour moi c’est de savoir comment on l’applique. Comment de plus en plus la République progresse, comprenant qu’elle doit assumer toutes les pages de son histoire. L’histoire ce n’est pas de la théorie, ce sont des gens. C’est la constitution de la communauté nationale française, il faut l’accepter. Maintenant que ma loi soit menacée… J’ai besoin de voir celui qui sera capable de venir le dire à la tribune, je vais être là !

En 1981, les Guyanais ont dit: « C’est bon, la gauche ce n’est pas colonial, c’est fini »


Où est Christiane ?

Depuis un mois, des jeunes manifestent chaque semaine devant une enseigne « Au Nègre joyeux » datant de l’époque coloniale, place de la Contrescarpe dans le 5e. Ils souhaitent qu’on l’a retire. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas mal qu’ils fassent ça. Dans l’espace public il y a des traces de l’histoire, inévitablement. Si vous allez à Bordeaux, sur l’architecture vous allez trouver par exemple des « têtes de nègres » protubérantes. Maintenant on peut choisir d’aller à la chasse et poursuivre toutes les traces possibles. Je ne suis pas sûre qu’il faille gommer toutes les traces. Je pense que le sujet c’est comment on casse ces mécanismes liés à l’histoire et les préjugés qui brisent les destinées prometteuses de certaines personnes. Moi je dois rassembler toutes mes forces ici dans ce Parlement de façon à ce qu’on arrive à briser ces mécanismes. Je m’interroge avant d’agir sur ce qui est le plus important. Est-ce que c’est parce que je ne veux pas le voir que je veux qu’on supprime cette enseigne ? Le plus important n’est-il pas que ce soit là comme témoin, que ça alerte ?

bqhidden. C’est un rétrécissement de dire « Noirs » mais il y a une réalité dans la société