Depuis le 14 juillet, Amarildo, un habitant d'une favela de Rio, a disparu après un contrôle d'identité. Alors que les CRS brésiliens viennent de réprimer dans le sang le mouvement social de juin, la police est montrée du doigt.
« Où est Amarildo ? » Depuis le 14 juillet dernier, la question se propage sur les réseaux sociaux brésiliens. Il ne s’agit pas d’un jeu communautaire, et Amarildo n’est pas la version Carioca du fameux Charlie. Non, Amarildo, 47 ans, maçon, père de 6 enfants, a disparu depuis une semaine, après avoir été emmené par la police.
Ze story Déployant ses dizaines de milliers de bicoques sur les flancs des collines de la zone sud de Rio de Janeiro, formidable mosaïque carrelée par toutes les couleurs des matériaux peu coûteux offerts par le Brésil, Rocinha est la plus grande des favelas de Rio de Janeiro. C’est là qu’Amarildo avait lui-même construit sa maison, où il vivait avec sa famille.
De retour d’une longue journée de pêche, son filet et ses poissons sur le dos, Amarildo de Souza est interpellé par des policiers de l’UPP (la police de proximité qui occupe les favelas pour empêcher le retour des trafiquants, après la « pacification »), et emmené au commissariat pour de « simples vérifications », parce qu’il ressemblait à un trafiquant. On ne le reverra plus. D’un côté, la police déclare ne pas savoir ce qu’il est advenu de lui après le contrôle de routine. De l’autre, les habitants de la favela accusent la police de rien moins d’autre que d’enlèvement et de meurtre.
Tropa de elite Les allégations sont graves, et pourraient être taxées de fantaisistes, si les précédents n’étaient pas légion. Lorsque les jeunes issus de la classe moyenne ont manifesté en juin dernier dans les rues de Rio, la police s’est montrée violente. Sur l’avenue du Président Vargas, le 20 juin elle a tiré à bout portant au flashball. Tant de bombes lacrymogènes ont été utilisées cette nuit-là que la police s’est vue contrainte de passer en urgence une nouvelle commande de 2.000 bombes. La police a aussi investi les urgences de l’hôpital Souza Aguiar pour y poursuivre les manifestants qui s’y réfugiaient et y a jeté du gaz lacrymogène.
Simples vérifications…
Quand, le 24 Juin, les habitants de la Favela de la Maré ont eux aussi décidé d’organiser une manifestation, un groupe de bandits en profite pour semer le désordre et piller des boutiques. Les troupes d’élite de la PM, le BOPE, interviennent à grands renforts de blindés et d’armes létales. L’invasion durera toute la nuit et fera 13 morts, dont un habitant et un policier. Selon le BOPE, les autres victimes seraient tous des bandits, mais les habitants de la Maré n’y croient pas. Jonatha Farias da Silva, 16 ans, aurait été tué alors qu’il était en possession d’une arme. Dans les colonnes de Globo Yvonne Bezerra de Mello, coordinatrice de l’ONG Uerê où Jonathan a été alphabétisé, ne croit pas à la version officielle : « C’est un mensonge. Il n’était pas armé. C’était un garçon qui ne cherchait jamais les ennuis. Jonatha est juste une victime de plus de la violence policière dans les favelas. Ici, les balles ne sont pas en caoutchouc. »
De son côté, Eliane Souza Silva, directrice de l’ONG « Réseaux de la Maré » raconte au magazine Forum que lorsque les policiers sont entrés dans la favela, ils hurlaient qu’ils allaient « tuer tout le monde ». L’Observatoire des Favelas relaiera un grand nombre de plaintes pour violences policières, intimidations, mises à sac, confiscations illégale de documents et d’argent, durant toute la nuit de l’invasion.
Police politique La police brésilienne, plus connue sous le nom de PM, est une police militaire, vestige de la dictature. Mal formée, mal payée, ses membres sont fréquemment accusés de corruption et d’abus de pouvoir, sinon de plus. Rien de surprenant, dès lors, à ce que la disparition d’Amarildo suscite la révolte au sein de la communauté, et plus globalement, de la jeunesse brésilienne. En pleine démocratie, plus de vingt ans après la fin de la dictature, un homme est emmené pour un contrôle d’identité, et disparaît corps et âme.
Le sociologue Paulo Baia, professeur à la prestigieuse Université Fédérale de Rio de Janeiro, a lui aussi été victime de cette sinistre résurgence du passé, comme il le raconte au quotidien Globo. Alors qu’il enquêtait sur les récents mouvements sociaux, une voiture sans plaque d’immatriculation s’arrête à côté de lui, en plein centre-ville, avant qu’il soit happé à l’intérieur. Pendant un court trajet, deux hommes le menacent : « Si tu continues à parler mal de la PM, si tu fais encore une interview, on te jure que ce sera la dernière. » Les hommes le libèrent rapidement, sans autre dommage que psychologique. Toutefois, en bon sociologue, Paulo Baia préfère ne pas tirer de conclusions hâtives. « Je ne peux pas dire que c’étaient des policiers. Ce pouvaient être des sympathisants, ou encore des gens qui voulaient monter la population contre les policiers. Je ne sais pas » a-t-il déclaré plus tard à la chaine de télé locale RJTV.
Ici, les balles ne sont pas en caoutchouc
Si tu fais encore une interview, on te jure que ce sera la dernière
Droits de l’homme Joint par StreetPress, Luis, 22 ans, étudiant en économie à l’UFRJ, et aux idées politiques de gauche, est désespéré :
« Un spectre rôde sur Rio, Un spectre maudit. Cabral a réinstauré la DOPS. »
Sergio Cabral (PMDB) est gouverneur de l’état de Rio, et la DOPS, le Département de l’Ordre Politique et Social, la police politique des années de dictature militaire. Dans un décret paru ce 19 juillet, le gouverneur Cabral a institué une loi d’exception, sans doute par peur de nouveaux débordements en marge des JMJ. Ce décret stipule, dans son article 1, la création d’une Commission d’Investigation sur les Actes de Vandalisme (CEIV). L’article 2 nous indique que la CEIV pourra prendre toutes les mesures nécessaires aux enquêtes sur les actes de vandalisme, afin de mieux les punir. Dans l’article 3, on découvre que les opérateurs téléphoniques auront 24 heures, au maximum, pour répondre aux demandes de la Commission.
Des mesures très dures, et surtout anticonstitutionnelles, selon le président de l’OAB (l’Ordre des Avocats du Brésil), Marcus Vinicius Furtado : « La Constitution Fédérale assure la confidentialité des communications entre les citoyens. Je n’ai pas le moindre doute quand j’affirme que ce décret est anticonstitutionnel »
Ici, nulle trace de terroristes. Pendant les manifestations dans les rues de Rio, il y a eu des vitrines cassées, des bâtiments dégradés, des jets de pierre, mais rien qui justifie l’application d’un tel décret.
Pape François Dans ces conditions, comment s’étonner du nombre d’arrestations arbitraires dépourvues de motifs ? On a même accusé la police de remplir des sacs de pierres pour charger les inculpés. Comment s’étonner des accusations lancées par la population contre la PM au sujet d’Amarildo ? Comment s’étonner que l’on commence à crier à la dictature, un slogan pourtant si souvent galvaudé dans nos sociétés démocratiques occidentales, mais auquel le gouverneur de Rio donne aujourd’hui du sens ?
Alors que la Pape François visite les favelas et les prisons, alors qu’il se veut défenseur du pauvre, de la veuve et de l’opprimé, Amarildo de Souza, pauvre, opprimé par le système, et qui risque de laisser derrière lui une veuve, n’a toujours pas donné signe de vie. Gageons que le Pape pourra voir, sur une pancarte, dans la foule, cette petite question énigmatique, presque désespérée : « Où est Amarildo ? » Si la PM et le Gouverneur laissent les manifestants arriver jusqu’à lui.
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