Assise sur mon lit, je branche mon micro au téléphone et allume mon magnéto. Il est 19h25. Une sonnerie seulement et Omar, comme il souhaite qu’on le nomme, décroche. Exactement dans la même position, dans sa cellule de la prison du Bois d’Arcy. Son iPhone à la main, il attend mon appel depuis quelques minutes déjà.
Braqueur
Omar est un auteur anonyme. Le jeune homme d’origine mauritanienne a grandi dans une cité de Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Il purge une lourde peine pour des braquages à main-armée commis au début des années 2000. Déjà dix ans qu’il est derrière les barreaux.
(img) « Chronique de Youv derrière les barreaux »
J’ai entendu parler de lui sur internet. Comme des milliers d’autres personnes, je lis sa « Chronique de Youv derrière les barreaux ». « Youv », le verlan de « voyou ». Publiés chaque jour sur sa page Facebook, les textes d’Omar relatent son histoire, ses états d’âmes, ses réflexions, en direct de sa cellule.
E-taulard
Tout a commencé il y a deux ans, alors qu’il vient d’avoir internet. Son établissement, comme dix autres prisons réservées aux détenus condamnés à une lourde peine, autorise les prisonniers à posséder des ordinateurs. Il demande à suivre des cours et s’arrange avec son directeur pour avoir un PC dans sa cellule. Une fois l’autorisation acquise, il se fait passer une clé 3G au parloir. C’est parti pour des sessions surf sur le web.
Un soir, lors d’une conversation téléphonique, une amie lui parle de chroniques qu’elle suit sur Facebook. « Les chroniques de Farah » racontent la galère de jeunes filles en banlieue. « J’ai jeté un coup d’œil et j’ai vu qu’il y avait du monde qui lisait ce genre de trucs. » Décidé à écrire sur le net lui aussi, il va utiliser sa page Facebook « pour sortir des truc ghetto. »
Son établissement autorise les prisonniers à posséder des ordinateurs
Solitude
C’est au mitard qu’il se met à écrire. « Comme j’étais vraiment agité avant, j’y ai passé plus de deux ans ». Dans cette petite pièce sombre, le temps s’est arrêté. Une table et une chaise en ferraille, un lit en béton et un petit matelas. Il n’a qu’un stylo et du papier pour s’occuper. Mais Omar n’a jamais écrit :
« Je n’ai pas fait d’études. J’en avais rien à foutre de savoir écrire parce que, dans ma tête, j’allais faire carrière dans l’illicite. »
(img) Youvgataga
Au trou, il entend les autres détenus devenir fous dans les cellules voisines. « C’était la merde. Certains se sont pendus, d’autres ouverts les veines. » Et comme le temps ne passe pas, il n’a pas d’autre chose à faire que de prendre son stylo-bic. Au début, ses textes sont contestataires. « Des insultes contre le système. Que de la colère. C’était illisible », juge-t-il aujourd’hui. Mais une fois la haine évacué, il découvre qu’en écrivant « le temps passe beaucoup plus vite. C’était un truc de malade ! »
Clash
Ses textes du mitard, « le youv » les recopie sur son wall Facebook qu’il tient déjà depuis un certain temps. Sa première publication fait un malheur : « En deux heures, j’avais trois cents “j’aime”. C’est parti dans tous les sens. » De quoi donner au lascar l’envie de continuer. Il se laisse prendre au jeu, raconte un jour, puis un deuxième « et ne s’est plus arrêté ». Au bout de deux mois, 9.000 personnes suivent sa page.
Parmi les hits, sa première histoire d’amour, Jade, qu’il quittera après qu’elle ait appris qu’il avait braqué le Decathlon de sa bourgade normande. Mais aussi le coup de bluff qu’il tente auprès du psychiatre de la prison pour éviter ses 45 jours de mitard. « Il m’a reçu sur-le-champ, s’est mis en face de moi, et m’a relu ma lettre pour voir mes réactions […] : “C’est normal que vous entendiez des voix et que vous voyez la dame blanche, je vais vous donner une dizaine de cachets pour vous apaiser” ». La ruse n’a pas marché.
Censure
Vidéo – “Le Youv” interviewé par un co-détenu
Un matin, plus rien. La page des « Chroniques de Youv derrière les barreaux » est effacée, deux mois à peine après ses débuts. « Censuré, croit savoir Youv. Tout avait disparu. » Le succès de sa chronique ne serait pas non plus passé inaperçu auprès de la direction de la prison. « Ils sont venus me voir et ils m’ont dit d’arrêter mes conneries » raconte le « youv ». « Y’avait du monde qui était au courant et moi, j’étais sans pitié quand je parlais de la pénitentiaire. »
Surenchère : il publie une vidéo sur Youtube. Les surveillants lui confisquent son ordinateur de manière définitive. Puis les fouilles s’enchainent. Les matons trouvent successivement quatre téléphones portables entrés « autrement que par le parloir ». On suppose qu’ils ont été envoyés en « parachutes », par-dessus le mur de la prison, comme il le raconte dans la huitième partie de sa chronique.
Mais Omar assure ses arrières : « Je savais quand ils venaient donc je planquais mes téléphones chez les autres. Cinq minutes après la fouille, ils me voyaient à nouveau sur internet. Ils ne comprenaient pas. » Fatiguée de ces efforts inutiles, la direction aurait « lâché l’affaire ». Joint par StreetPress, l’équipe de la prison de Bois d’Arcy n’a pas souhaité communiquer sur le sujet.
Réinsertion littéraire
Vidéo – “Le Youv fait sa promo depuis Bois d’Arcy
Aujourd’hui, Omar a un nouvelle page : « Chronique de Youv derrière les barreaux 2 ». Dessus, il a décidé de se modérer : « Tant que je suis en prison, je peux pas me lâcher autant que je le faisais. » Réaction à l’actualité ou inspiration perso, il dicte ses états d’âmes à son iPhone. « Copier-coller, une photo et hop, sur Facebook. » Le réseau social lui permet aussi de sortir de son enfermement : « C’est interactif et direct. Je pose le texte et dans les quinze minutes je sais si c’est bon ou pas bon. » C’est également un moyen de retrouver le lien social dont il est privé : « J’ai rencontré ma meilleure amie sur Facebook. Elle est avocate, je ne l’aurai jamais rencontré autrement. »
Depuis sa cellule, il prépare sa sortie, prévue dans un an : « Je devrais déjà être dehors, mais je paye pour toutes mes conneries. » En février dernier, il annonce à ses lecteurs qu’il met en pause sa chronique pour se consacrer à l’écriture de son premier livre. Il vient de le terminer. Cette fois, il espère pouvoir publier dans une grande maison d’édition après une première expérience chez un petit éditeur anticapitaliste qui a publié en brochures ses chroniques. Son but : être lu par le plus de monde possible. « Je cherche pas à en vivre mais je sais qu’avec une grande maison d’édition, j’aurai plus visibilité auprès des gens. Je suis ambitieux. » « Le Youv » a d’ailleurs bien progressé. Ses premiers textes étaient truffés de fautes d’orthographes façon Nabila : Aujourd’hui il pourrait presque participer à Motus.
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