Branle bas de combat chez les mormons. Après de nombreux mois de discussions, FamilySearch International, l’entreprise généalogique des mormons, a obtenu le feu vert de la Cnil pour numériser et mettre en ligne une bonne partie des documents d’archive d’état civil français. Alors que 70% de l’état civil français serait déjà dans le bunker de l’église à Salt Lake City suite à un accord conclu dans les années 1960 entre les mormons et les archives nationales, l’accord de la Cnil ouvre un boulevard aux religieux en costard qui négocient en ce moment avec les archives départementales.
Objectif pour l’église : obtenir les 30% d’état civil manquants, avoir le droit de les numériser et de les mettre en ligne… pour pouvoir baptiser ta grand mère décédée.
Big-data
Le 25 avril dernier, la décision convoitée de longue date tombe enfin. La très sérieuse Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil) autorise l’église à numériser les actes d’état-civil (naissances, mariages et décès), les tables décennales et les cahiers de recensement. Une gigantesque base de données numérique qui sera conservée dans le bunker souterrain de l’église à Salt Lake City aux Etats-Unis et qui à terme devrait être consultable par les internautes.
Pour les Mormons, la Cnil impose quelques règles à respecter :
- Un dispositif ultra sécurisé
- Toutes les informations d’ordre privé comme la religion, la santé ou d’éventuelles condamnations devront être masquées et ce pendant 150 ans après le décès de la personne.
Le délibéré du 25 avril de la CNIL
Cet agrément n’est en fait qu’une première étape pour l’église. En effet, la Cnil ne donne son avis que sur la partie technique du dossier. En clair, elle se charge seulement de vérifier que les données seront bien protégées et ne contiendront aucune information d’ordre privé. « Nous ne pouvons pas leur interdire l’accès parce que c’est un organisme religieux, ce n’est pas de notre compétence », explique Delphine Carnel en charge du dossier à la Cnil. « Ca c’est du ressort des archives de France ».
Archives nationales
Prochaine étape, donc, pour les mormons : convaincre les organismes publics de leur donner l’aval. Et pour ça ils ont un argument de taille : des moyens financiers quasi illimités. Un fond alimenté par les 14 millions de croyants qui reversent à l’Église 10% de leurs revenus. Au total, un joli pactole estimé en 1997 par le Time Magazine à plus de trente milliards de dollars.
Entendons-nous bien, il n’est pas question pour l’église de soudoyer les archives nationales mais plutôt de mettre à disposition des moyens techniques. Par le passé l’argument a su convaincre. En 1960 la société généalogique d’Utah (devenue depuis FamilySearch) avait conclu un deal avec la direction des archives de France. L’organisme public ouvre aux mormons les portes de ses archives qui microfilment les documents et chacun repart avec une copie. 70% de l’état civil français serait déjà enterré dans les bunkers de Salt Lake City.
La méthode a donc fait ses preuves et FamilySearch retente le coup. « On cherche à connaître les besoins des archives, pour leur proposer nos services » explique, franco, M. Massela, représentant français de la compagnie mormone. Sauf qu’en un demi-siècle la technologie a évolué. Les accords des 60’s ne prévoyaient pas la mise en ligne des documents et pour cause internet ne s’est ouvert au grand public que 30 ans plus tard. Quand au coût de reproduction, il a très largement diminué avec l’arrivée des outils de copie numérique. Pas de bol pour les mormons, il faut renégocier et ils ont moins d’arguments à mettre dans la balance !
Concurrence déloyale
« Nous avons eu de très nombreux échanges avec les archives de France, mais impossible d’arriver à un contrat national », raconte M. Massela. Raison invoquée par le service public : concurrence déloyale. Les services proposés par les mormons sont gratuits « et aujourd’hui il y a d’autres acteurs privés sur le marché ».
Étonnant, en période de restrictions budgétaires, de voir à quel point les archives nationales tiennent à dépenser nos impôts ! Peut être que l’actuel directeur, Hervé Lemoine, a plus de scrupules que ses prédécesseurs à signer un accord avec une organisation religieuse controversée. Malgré les nombreux coups de fil de StreetPress, il n’a pas trouvé le temps de nous répondre.
Échelon local
Les archives nationales refusent de s’engager avec les Mormons. Qu’importe, ils tentent leur chance à l’étage d’en dessous : les archives départementales. « Nous sommes effectivement en discussions avancées avec plusieurs départements » explique le représentant de FamilySearch, « plutôt optimiste », mais impossible de savoir lesquels. « Nous préférons rester discrets avant que les négociations n’aboutissent » explique M. Massela. L’Église de Jésus Christ des saints du dernier jour n’a pas toujours bonne presse, une indiscrétion pourrait faire capoter l’accord.
Elle prépare même d’ores et déjà la suite des événements. Dans chacun de leur « pieu » – un diocèse mormon – un directeur d’indexation va être nommé. Quinze responsables au total pour coordonner le travail des 10.000 bénévoles que l’église affirme pouvoir mobiliser pour réaliser l’indexation des 1 à 3 millions d’images que représente l’état civil d’un département. Parmi les bénévoles, sans doute une partie des 36.000 membres français revendiqués par l’église, mais aussi de très nombreux passionnés de généalogie.
Why ?
Pourquoi L’Eglise de Jésus Christ des saints du dernier jour dépense-t-elle tant d’énergie pour connaître le petit nom de ton arrière-arrière-grand-oncle ? Auprès de la Cnil, FamilySearch a déclaré vouloir protéger un patrimoine en péril. Les documents, comme les microfilms sont victimes des attaques du temps. Autre argument invoqué : les rendre plus facilement accessible au grand public. « C’est vrai qu’ils n’évoquaient pas leurs motivations religieuses, même si elles sont évidentes pour tout le monde », confirme Delphine Carnel en charge du dossier à la Cnil.
Si les mormons s’intéressent tant à la généalogie c’est en fait parce qu’ils considèrent que leur première obligation est d’accomplir certains sacrements religieux à tous leurs ancêtres. Et en gros comme de près ou de loin nous sommes tous cousins, ils tentent en quelque sorte de reconstituer l’arbre généalogique de l’humanité. « Notre philosophie c’est de donner l’occasion à nos ancêtres de recevoir les sacrements » explique M. Massela : baptême, mariage, scellement aux parents et aux enfants… Toujours en présence d’un membre de l’église qui aura pu établir un lien de parenté, même lointain, avec le défunt.
Anne Frank
Ton arrière grand-mère, même si elle était bouddhiste ou muslim pourrait bien être baptisée ! Ce n’est pas ce genre de détail qui les arrête : en 2003 un scandale a éclaté aux Etats-Unis après que l’église mormone a baptisé près de 20.000 victimes de la Shoah. Un détail sans-doute. Deux ans plus tard le quotidien israélien Haaretz révélait qu’Anne Frank avait également été baptisée. M. Massela « comprend qu’il y ait une certaine sensibilité » mais il la juge « pas raisonnée. S’ils n’ont pas la même croyance que nous ça ne devrait avoir aucun effet pour eux ! ». Autre argument choc : « nous ne faisons que proposer aux défunts les sacrements, de là où ils sont, ils peuvent les refuser. »
bqhidden. S’ils n’ont pas la même croyance que nous ça ne devrait avoir aucun effet pour eux !
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