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    07/05/2013

    Serge Paugam et Camila Giorgetti ont enquêté sur les pauvres de la bibliothèque Beaubourg

    Qui sont les SDF de la BPI ?

    Par Antoine Massot

    Parmi les habitués de la BPI, des SDF blogueurs, un ex-universitaire obligé de manger les restes de la cafét' et de nombreux amis de Pôle emploi. Les sociologues Serge Paugam et Camila Giorgetti leur consacrent un livre.

    Depuis des années, SDF et déshérités en tout genre viennent se poser à la bibliothèque du centre Pompidou. Streetpress vous avait raconté le quotidien de ces mecs venus mater la télévision, écouter de la musique, lire ou même dormir. Des habitués pour la plupart. Les sociologues Serge Paugam et Camila Giorgetti leur consacrent une enquête : « Des pauvres à la bibliothèque. Enquête au Centre Pompidou ».

    Paris 14ème – Après avoir traversé les couloirs du labyrinthe du campus de l’Ecole normale supérieur, l’auteur nous accueille dans son bureau. La pièce exiguë croule sous les ouvrages de sciences humaines. Polo gris et cheveux au diapason, l’homme se veut calme et sérieux. Un demi-sourire perce tout de même sur son visage à notre arrivée. Même si l’entretien n’est pas ponctué d’éclats de rire – loin s’en faut- l’échange est agréable et précis. Il prend soin de répondre minutieusement à chacune de nos questions en parlant lentement afin d’être le plus clair possible.

    Pourquoi enquêter sur les pauvres du Centre Pompidou ?

    Il y a eu un appel d’offres parce que les responsables de la bibliothèque constataient un nombre important de personnes en difficulté dans l’établissement. Plusieurs enquêtes par questionnaire avaient été effectuées mais il n’y avait pas assez d’éléments pour comprendre les véritables raisons de la fréquentation et des usages de cette bibliothèque par les plus défavorisés. Avant de faire cette enquête, j’avais déjà réalisé des recherches sur la précarité et la pauvreté. J’avais mené des études en interrogeant les personnes en difficulté qui s’adressaient à des services d’actions sociales, comme les allocataires du RMI. Ici, on a quitté cet espace où les pauvres étaient aidés, pour analyser leurs usages au sein d’un espace public : le Centre Pompidou.

    Ici, on a quitté cet espace où les pauvres étaient aidés, pour analyser leurs usages au sein d’un espace public : le Centre Pompidou.

    Concrètement, vous avez bossé comment ?

    Quand on enquête dans un espace comme la BPI (Bibliothèque publique d’information) avec ses trois étages, on peut se demander si on ne va pas passer à côté de l’objet d’étude. Nous étions donc prudents et très attentif à multiplier les approches, de façon à bien cerner le phénomène de pauvreté et de précarité. On a tout de suite privilégié l’observation participante qui consiste à observer la vie sociale tout en y participant. Nous nous sommes fondus dans l’espace des lecteurs, sans préciser qu’on faisait une enquête et qu’on était des sociologues. On a pu ainsi observer des interactions entre les usagers et repérer ceux qui étaient en difficulté. Quand vous entrez la première fois à la BPI, vous êtes tout de suite frappés par les personnes en grande détresse. On les reconnait par leurs vêtements sales ou déchirés, en train de porter des sacs plastiques avec toutes leurs affaires à l’intérieur. Vous allez certainement vous dire: “Il n’y a aucun doute, ce sont les pauvres !”. Mais la question est de savoir quelles sont les autres franges des populations pauvres qui n’apparaissent pas de façon aussi visible, à un observateur ou un usager ordinaire. Dans un second temps nous avons mené des entretiens approfondis. Pour ces derniers, les usagers interrogés savaient qu’ils étaient interviewés par des sociologues.

    Dans le livre, vous déclarez « enquêter auprès de personnes qui veulent passer inaperçues ». Comment s’est passée l’approche ?

    C’est toute la difficulté ! Comment atteindre des personnes qui sont en situation difficile mais qui ne veulent pas le montrer ? Elles tiennent encore à leur statut social, à leur identité et ne veulent pas admettre que cette pauvreté devient visible pour tout le monde. Pour cela elles vont tout faire pour ne pas montrer des signes de dénuements dans l’habillement. Elles font tout pour passer inaperçues. Elles vont être respectueuses du règlement et vont se mettre dans la peau d’un usager le plus ordinaire possible. On peut les repérer grâce aux types d’usages et de services qu’elles viennent chercher à la bibliothèque. Par exemple, beaucoup fréquentent l’espace d’auto-formation car il donne gratuitement accès à de nombreuses bases d’apprentissage de la lecture ou d’une langue étrangère. On a aussi observé que des personnes au chômage préféraient faire leurs recherches d’emploi à la BPI, sur le net, plutôt qu’à Pôle emploi. A travers ces signes, on a pu observer et rencontrer des personnes en situation de fragilité.

    L’enquête de terrain a été longue ?

    On a enquêté en deux phases : Une première, hivernale – de décembre à mars 2011, et une seconde, estivale – de juin à septembre 2011. Au total, on a fait six mois d’observations, en y allant régulièrement. Au départ nous étions trois, mais on s’est vite rendu compte qu’il était compliqué de faire des entretiens après avoir passé beaucoup de temps à la bibliothèque. On était devenu des habitués. C’est pourquoi nous avons eu besoin de deux autres personnes pour les entretiens. Sinon, pendant l’été, on a fait appel à un autre enquêteur. Il a fait une immersion au cœur des plus exclus, en prenant volontairement l’allure d’une personne en grande difficulté. Il venait avec un sac à dos et un sac de couchage pour se fondre parmi les plus défavorisés. Ce qui lui a aussi permis de mieux connaître les circuits extérieurs à la bibliothèque comme les endroits où dormaient les sans-abris.

    Quelles sont les occupations « des pauvres à la bibliothèque » ?

    Tout dépend de leur situation. Certains sans-abris peuvent venir à le BPI, pour se réchauffer. D’autres vont envoyer des mails quotidiennement et même gérer leur blog. Les pauvres de la bibliothèque passent du temps à se cultiver, à lire… Sur certains sujets, ils peuvent être très compétents et entretenir des connaissances multiples. On a rencontré un retraité, SDF, qui était administrateur de l’association « Mains Libres » (ndlr : L’association permet aux sans-abris de laisser leurs bagages dans la journée pour pouvoir circuler plus librement). Il gérait l’association directement à la BPI depuis les bornes Internet. Il y a aussi un ancien universitaire, sans-abris, qui rencontre ses disciples à la bibliothèque. Ils se réunissent pour parler littérature et philosophie. Il faut savoir que cette personne fait en même temps les poubelles de la bibliothèque et mange les restes à la cafétéria. Mais elle se fait fort d’apparaître comme un intellectuel avant tout. Ce sont des situations de ce type qui permettent de voir à quel point aujourd’hui, dans la société française, on peut être très cultivé et vivre dans la pauvreté.


    « Les pauvres de la bibliothèque passent du temps à se cultiver, à lire… »

    De quel œil la bibliothèque voit-elle ces habitués ?

    Globalement, les bibliothécaires sont sensibles à cette question de la pauvreté et cherchent à venir en aide aux personnes en difficulté. Les bibliothécaires se doivent d’accueillir tous les publics. Parfois, ils sont simplement obligés d’intervenir pour faire respecter l’ordre. Ce n’est pas toujours simple de gérer la BPI ! Chaque fois qu’il y a un petit écart ou une transgression, le bibliothécaire temporise. D’ailleurs, on voit très bien comment se régule aussitôt l’espace. Par exemple, un groupe de personnes en train de discuter à un niveau trop élevé ou en train de rigoler va parfois réagir comme dans une classe d’école : “Attention ! Le bibliothécaire arrive, chhhuutt !”. Il y a un jeu qui se fait avec le personnel de la BPI pour faire accepter une norme moins rigide que celle à laquelle on se réfère habituellement.

    Qu’est-ce qui a été le plus marquant dans cette enquête ?

    Cette enquête permet de revisiter la notion d’espace public. On peut voir jusqu’où il est possible de faire cohabiter des personnes au statut social inégal. Ça permet de voir comment un espace public constitue un moyen d’apprentissage de la citoyenneté. En gros, tout usager précaire ou non qui se rend dans cette bibliothèque, a devant lui une représentation de la société avec ses différences. Le sociologue allemand Georg Simmel parle de possibilité de « s’honorer simultanément » en étant présent dans un même espace.

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