Jean, sweat-shirt, baskets sneakers avec quelques gouttes de peinture. C’est à la cool, un grand sourire vissé sur le visage que RERO nous accueille dans les sous-sols du centre Pompidou.
À 30 ans, il a déjà une bonne notoriété dans le milieu du graff’ : le Parisien commence à être habitué aux interviews, sa diction est claire, décontractée, ponctuée de quelques mots d’humour.
Que fais-tu au Centre Pompidou ?
C’est une résidence participative. Les gens, surtout des jeunes, viennent dès le matin. J’ai choisi un mot au préalable, que j’ai posé sur le mur. On échange autour de ce thème. Ensuite, au fur et à mesure de la journée on le recouvre, en taguant et réécrivant par dessus. Et tout le processus est filmé.
L’important c’est ce que j’appelle « les déchets » : les vidéos, les photos, garder une trace du passage. Ce n’est pas figé, ce n’est pas une toile, c’est évolutif et en interaction. Il n’y a plus de distance entre l’œuvre et le public, ça casse la sacralisation.
Cette action se déroule dans une pièce, visible de l’extérieur. Une façon pour moi de questionner les limites intérieur/extérieur, public/privé, intime/officiel.
Qui est ton public au musée ?
C’est sûr qu’au musée on ne touche pas le même public que dans la rue. Au centre Pompidou il y a de tout, des gens qui ont souvent des a priori sur le graffiti. Ils perçoivent ça comme une agression avant de réaliser que c’est percutant. T’as aussi des graffeurs qui n’adhèrent pas forcément au truc.
Moi je suis content d’être ici. Ca a un côté éducatif : j’amène un premier rapport au graff, à l’art, à des ados qui comme moi ne se seraient peut-être jamais intéressés à l’art contemporain… L’art a vraiment nourri ma vie, c’est une forme de thérapie. Grace à ça, j’ai pu contrôler mon agressivité. C’est toutes ces valeurs que j’ai voulu transmettre aux autres.
Ca ne te manque pas l’adrénaline de la rue ?
À vrai dire, je ne ressens pas d’adrénaline à défoncer un train, ce n’est pas ce qui m’anime. Moi j’aime questionner le support. Je joue mais de manière polie et c’est ce qui me permet de rentrer dans des institutions et de faire réfléchir.
Au Bon Marché, si j’avais été agressif je n’aurai jamais pu mettre : « Vous ne trouverez pas ce que vous voulez ici » sur le bâtiment. C’est cela ma manière d’opérer, il faut rentrer un peu dans le système pour mieux l’éclater. Si tu es complètement en dehors, tu es anarchique, tu n’es pas considéré et tu ne permets pas de faire réfléchir. C’est comme en dessin, il faut connaître les règles classiques pour les éclater comme Picasso…
Mais le graff c’est un truc social, c’est donc les règles sociales qu’il faut connaitre pour jouer avec. Depuis que j’ai dénaturé l’esthétique du graffiti et que j’en ai juste gardé le coté intrusif et la notion de réappropriation de l’espace, on me laisse encore plus parler.
Comment as-tu commencé le graffiti ?
Au début je reproduisais l’esthétique américaine, l’imagerie du graff disons « traditionnelle » : intérieurs, contours, outlines, fonds… En fermant les yeux c’est l’imagerie new-yorkaise qui nous vient tout de suite. J’ai fait cela pendant 10 ans. Puis au bout d’un moment je me suis lassé de cette pratique et j’ai réfléchi à ce qu’est, pour moi, le graffiti.
C’est quoi l’essentiel ?
Accepter un peu les codes, le cadre pour mieux exploser, c’est mon travail. Si je faisais mes messages à la bombe les flics viendraient m’arrêter… Tu as tout de suite plus de problèmes.
L’exposition EX SITU a lieu du 13 avril au 16 juin, dans le sous-sol du Centre Pompidou, l’accès est libre.
EX SITU c’est :
- 7 artistes issus du milieu de l’art urbain invités à mener une expérience artistique au Centre Pompidou. Se succéderont pour mener les ateliers gratuits, OX, LUDO, Mark Jenkins, JONONE, VHILS, YZ et, bien évidemment, RERO.
- 7 résidences où les artistes invitent les jeunes à participer à un work-in-progress et une réflexion sur la création in situ.
- 7 installations éphémères réalisées par les artistes en lien avec l’architecture du Centre Pompidou.
- 1 parcours dans la ville, le temps d’un après-midi, le Kiosque Tour, réalisé par les artistes et des groupes d’adolescents sur des kiosques de presse.
J’ai pratiqué l’aérosol, parce que c’était un gain de temps, si tu veux marquer un message rapidement sur un mur, la bombe c’est ce qu’il y a de plus pratique et rapide. Mais aujourd’hui j’utilise d’avantage le vinyle adhésif parce que ce n’est pas agressif.
Par exemple dans le métro ça s’intègre tellement dans le paysage et c’est tellement poli que tu peux te permettre des messages bien plus violents. Tu t’intègres dans le contexte, un message au vinyle va rester deux semaines, un tag va être effacé tout de suite.
Du coup, que penses tu des murs d’expressions ?
Les murs d’expression pour moi ce n’est pas très intéressant, le principe du graffiti c’est de se réapproprier un espace non conçu pour recevoir une peinture. Le mur d’expression c’est une feuille blanche délimitée où l’on vous dit : « Venez mettre votre peinture ». Cela peut se faire en atelier, en laboratoire, ca n’a pas lieu d’être dans la rue. C’est vraiment l’appropriation qui compte et le Street Art ne fonctionne pas forcément qu’en 2D, c’est plein de formes, plein d’outils…
Le graff est contestataire selon toi ?
Le graff c’est une revendication, un engagement, c’est social. Je me souviens d’un mec qui disait qu’il n’aimait pas le Street Art parce que ce n’est pas esthétique mais social, c’est complètement vrai. On n’a pas une démarche esthétique, on ne décore pas la ville, on apporte du sens, du social. Le message change en fonction du support, du contexte politique, historique, du moment… Il s’adapte. On peut même revenir dessus, on recouvre, comme ici au centre Pompidou.
L’essentiel c’est d’être dans l’action et de ne pas avoir peur. Ne soyez pas indifférent, intéressez vous et si vous vous trompez, peu importe. Reconnaissez-le simplement.
Auteurs : Laura Kotelnikoff & Ann-Flore Rammant
bqhidden. Tu peux te permettre des messages bien plus violents
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