« Je connais la Roumanie, j’y ai bossé pour Renault. Mais vous savez en Roumanie, c’est pire qu’en France pour les chômeurs. » C’était début décembre 2012. À ce moment-là, Ovidiu avait simplement répondu à son conseiller Pôle Emploi : « Cela m’est égal, je n’ai jamais travaillé en Roumanie mais toujours en France. » Mais avec du recul, cette réflexion le fait bien sourire : trois mois après cette conversation, Ovidiu le Roumain a pris les incohérences de l’administration française en pleine face.
Bac +5
Ovidiu a 31 ans, une boucle d’oreille et une roulée sans filtre souvent collée à ses lèvres. Né dans un petit village près de Ploiesti dans une famille rom, il a vécu son adolescence dans la misère du postcommunisme et a réussi à s’en sortir grâce aux livres et aux études. Une licence de sciences politiques en poche en 2007, il part suivre sa petite amie française, avec qui il a une fille un an plus tard.
MAP Ploiesti, c'est ici !
Dès son arrivée en France, les tribulations administratives lui deviennent familières. D’abord pour s’inscrire à l’Université de Provence où il a obtenu un master en Études Européennes. Puis en 2009, après avoir déménagé en Ile-de-France, il doit se lever au milieu de la nuit pour compléter la file d’attente et patienter pour le renouvellement de son titre de séjour.
Malgré leur appartenance à l’Union Européenne, les citoyens bulgares et roumains doivent obligatoirement détenir un titre de séjour – sauf pour les diplômés de master, mais ce n’était pas encore le cas à ce moment-là. Des démarches difficiles et souvent faites pour décourager l’étudiant ou le travailleur étranger, qui prendront fin en décembre 2013.
Incohérence
Ovidiu était chef de projet dans un média européen basé à Paris. Il « voulait passer à autre chose. » Entre ses deux CDD d’un an, il a bénéficié d’une allocation chômage en novembre 2011 : « À l’époque, j’ai réussi à obtenir mes droits assez facilement. »
Son deuxième CDD se termine le 30 novembre dernier. Mais contrairement à ce qu’il s’était passé 2 ans plus tôt, il passe les trois derniers mois à subir des échanges infructueux avec Pôle Emploi. Les réponses mettent plusieurs semaines à atterrir dans sa boîte aux lettres. Le 6 décembre, son conseiller conclu avec franchise son premier rendez-vous :
> Ovidiu : « Vous savez monsieur, j’ai cotisé et payé des impôts comme tout le monde. »
> Le conseiller : « Ce n’est pas mon problème. »
Privé de droits
Après un deuxième rendez-vous, il apprend que son dossier doit faire l’objet d’une vérification supplémentaire par rapport à son titre de séjour qu’il avait obtenu en 2009. Il s’étonne. Il attend.
Trois semaines plus tard, le 9 janvier 2013, une lettre l’informe que non seulement sa carte de séjour au titre de « bénéficiaire du droit d’établissement » ne lui permet pas de s’inscrire en tant que demandeur d’emploi mais qu’il devra aussi rembourser ce qu’il a perçu en novembre 2011. Cette décision se base sur l’article R-5221-48 du code du travail qui énumère la liste des autorisations de travail permettant l’inscription au chômage. Le titre « Droit d’Etablissement » n’en fait pas partie.
République Autonome de Pôle Emploi
Abasourdi, il avait pourtant contacté la préfecture qui lui avait dit qu’il ne devait pas y avoir de problème pour s’inscrire. Sauf que, lors d’un autre rendez-vous avec son conseiller en janvier, la conversation a vite tourné au vinaigre :
> Ovidiu : « La préfecture m’a dit que je ne devais avoir aucun problème. »
> Le conseiller : « La préfecture a ses lois, Pôle Emploi a ses propres règles. »
> Ovidiu : « Mais Pôle Emploi, c’est un pays ou quoi ?! »
Grace à ses recherches sur internet, il trouve ce qui pourrait le sauver. Une page du site du Service Public stipule que les citoyens roumains et bulgares doivent avoir une carte de séjour pour travailler mais « qu’il existe une exception pour le jeune titulaire d’un diplôme au moins équivalent au master obtenu en France. »
« Il peut travailler librement en France sans titre de séjour ni autorisation de travail. »
Suite à cette découverte, Ovidiu envoie une lettre de contestation à son agence, par lettre recommandée, accompagnée de la capture d’écran de la page du Service Public et de son diplôme de master. «Si je n’ai pas besoin de titre de séjour pour travailler, je suppose que je n’en ai pas besoin pour m’inscrire à Pôle Emploi. »
Il reçoit l’accusé de réception le 23 janvier puis la lettre de Pôle Emploi deux semaines plus tard, le 8 février. Longue à lui parvenir, la réponse n’en est pas moins brève et directe :
« Une somme de 492,95 euros vous a bien été versée en trop […] nous vous demandons de rembourser cette somme avant le 23 février 2013. »
« Mais Pôle Emploi, c’est un pays ou quoi ?! »
« Je risque l’interdit bancaire »
Cet ultimatum l’achève. Les délais entre chaque lettre lui ont fait perdre du temps et de l’argent. « Je voulais être inscrit à Pôle Emploi, le temps de trouver un travail puis déménager dans la banlieue proche. J’ai envoyé de nombreuses candidatures pour des CDI et CDD, restées sans réponse. » Séparé de sa compagne, il vit depuis un an et demi dans un 12m² au quatrième étage sans ascenseur, près du métro Stalingrad. Une pièce qui fait à la fois office de cuisine, douche, salon et chambre.
En plus de la pension alimentaire, sa « caravane » lui coûte environ 600 euros par mois. « C’est tout ce que j’ai trouvé. Un Roumain avec un CDD, ce n’était pas très vendeur. Le studio était tellement sale et en mauvais état que j’ai dû tout repeindre. »
N’étant pas inscrit en tant que demandeur d’emploi, il ne bénéficie ni des APL, ni de la Sécu. Il survit grâce à ses économies et l’argent que lui prêtent ses amis. « Si je retourne en Roumanie, j’obtiendrais un super travail. Mais je reste à Paris pour être près de ma fille. »
Sans argent et sans CDI, impossible de trouver un autre logement :
« Je suis pris au piège. Une lettre que je viens de recevoir de ma banque me dit que je risque l’interdit bancaire. »
Discrimination
Avant d’écrire une lettre à un médiateur et d’envisager une procédure judiciaire, Ovidiu compose, devant StreetPress, une énième fois le fameux 3949 – le numéro du Pôle Emploi, pour comprendre ce refus. Sept minutes d’attente sont nécessaires avant que la douce voix d’une conseillère ne se fasse entendre. Après explication de sa situation, elle lui répond :
«Il est écrit sur votre dossier qu’il vous faut un titre qui corresponde aux jeunes diplômés de master français. Vous auriez dû avoir ce titre après votre diplôme. Il faut aller voir votre mairie ou votre préfecture pour obtenir ce titre ainsi qu’une rétroactivité sur la date. »
Une information qui pendant deux mois ne lui a été communiquée ni par la Préfecture, ni le Service Public, ni Pôle Emploi. Qui a tort ? Qui a raison? Ovidiu devient fou…
Après de nouvelles recherches sur internet, il croit tomber enfin sur le sésame : une circulaire du 2 juillet 2010 signée par Bruno Lucas, à l’époque Directeur Général adjoint clients, services et partenariats de Pôle Emploi. Elle fait suite à une histoire similaire, celle d’un refus d’inscription à une personne de nationalité roumaine ayant obtenu un master.
Il y est écrit que « prendre à l’égard d’un ressortissant bulgare ou roumain un refus d’inscription motivé par l’absence d’autorisation de travail, lorsque celui-ci est titulaire d’un master […] est non seulement illégal du point de la réglementation applicable à la gestion des demandeurs d’emploi, mais également susceptible de constituer une discrimination fondée sur la nationalité. »
Il y est ajouté qu’ « il est dispensé de devoir produire un titre de séjour pour s’inscrire ».
Menaces
L’acharnement d’Ovidiu a finalement payé
Ovidiu ne comprend plus rien. « Soit il y a eu une circulaire récente pour changer tout ça, sans que personne en soit informé, soit ils ne savent simplement rien du tout », rétorque-t-il.
Lundi 4 mars, Ovidiu prend le taureau par les cornes : il se rend dans son agence Pôle Emploi, menace de porter plainte à la Halde si un responsable ne s’occupe pas de son cas tout de suite. La directrice accepte de le rencontrer, écoute son histoire, regarde la circulaire, et ne comprend pas la situation.
Le vendredi 8 mars, elle l’appelle pour annoncer qu’ il y avait bien eu une erreur et qu’il peut s’inscrire en tant que demandeur d’emploi. Ce qu’il n’a pas reçu les trois derniers mois va lui être versé. La bataille est gagnée, et en plus on a évité l’immolation.
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