« Ce qu’ils sont ? Des aigris, des grincheux, des pétainistes. » Aïe ! Jean-Bernard Meneboo, représentant du bar Le Cox à Paris, l’a mauvaise quand StreetPress lui demande ce qu’il pense de l’association « Vivre le Marais ! ». La pilule n’est toujours pas passée dans son équipe, gérante d’un micro-empire de clubs gay dans le Marais. Car en janvier, l’association de riverains « Vivre le Marais ! » a réussi son plus beau coup en faisant annuler leur permis de construire pour l’ouverture d’une boite de nuit, rue Pierre-au-Lard (Paris 4e). Un joli projet qui devait faire danser sur 350 mètres carrés et qui sonne comme une nouvelle défaite pour les proprios d’établissements de nuits. Et ce, au moment où ils sont toujours aussi nombreux à dénoncer le poids des associations dites « de riverains » sur la vie nocturne parisienne.
Car la situation est toujours aussi tendue à Paris entre riverains et noctambules. Souvenez-vous, en 2010, la mairie de Paris avait lancé ses Etats Généraux de la Nuit, censés concilier amateurs de Gin Tonic et de verveine. Une réaction au beau succès de la pétition « Quand la nuit se meurt en silence », qui avait recueilli 17.000 signatures. Initiée par des clubbers et des pros du milieu, elle dénonçait « la loi du silence généralisée » qui transformait Paris « en ville morte. »
1 Leurs résultats : Des fermetures de bars à gogo
Mais deux ans plus tard et malgré plusieurs initiatives, comme les étonnants Pierrots de la nuit – des clowns qui demandaient aux noctambules de faire « chuut », c’est toujours la guéguerre. En janvier, ce sont 5 bars dans la rue du Faubourg Saint-Denis (Paris 10e) qui ont encore connu des fermetures administratives pour tapage nocturne, après les très populaires Zéro Zéro (Paris 11e) ou le Point Ephémère (Paris 10e) les mois précédents. Encore plus fort : Depuis juin 2011 dans le quartier de la Butte-aux-Cailles, un arrêté préfectoral interdit toujours la consommation d’alcool dans les rues à partir de… 16 heures. « Une mesure digne des mormons ! », s’offusque Francis Combrouze, pourtant adjoint au maire du 13e et farouche opposant à l’arrêté.
2 Leurs méthodes
Joint par StreetPress, Ian Brossat, président du groupe communiste au Conseil de Paris qui avait poussé les « Etats Généraux de la Nuit », est catégorique : c’est d’abord à cause des associations de riverains que toutes ces décisions sont prises et que Paris devient « une ville musée ». Armelle Trouche, à la tête d’une association créée en réaction à l’arrêté de la Butte-aux-Cailles, fulmine, elle, contre « un petit lobby » dont elle dénonce « les méthodes de harcèlement » :
« Ils écrivent, ils écrivent, ils écrivent ! Au maire, à la préfecture ! Les gens de la mairie en off, ils nous disent : “Ils nous emmerdent, on n’en peut plus”. Mais en public, ils ne font rien. »
Les buveurs d’apéro sont persuadés que la mairie est à la botte de ce « lobby », trop soucieuse de perdre les voix de ces riverains « à forte capacité de nuisance ». Comme lorsqu’ils mettent aux fenêtres de leur propriété d’immenses banderoles pour dénoncer la qualité de vie du quartier (photo ci-contre).
Dossiers
Rue Jean-Pierre Timbaud, une banderole « chuut »
Devant son expresso matinal, Anne Penneau, boss de l’association des riverains de la Butte-aux-Cailles, n’est pas peu fière d’avoir « participé pendant presque un an au travail d’enquête de la préfecture » qui a abouti à la mise en place du fameux arrêté interdisant la consommation d’alcool dans le quartier à partir de 16 heures. Celle qui est aussi prof de droit, d’expliquer qu’ elle constitue depuis 10 ans « des dossiers » contre les bars. Avec dedans des photographies d’attroupement et surtout les mesures au sol des… terrasses.
Des petits dossiers envoyés au tribunal dont Idris Boukhtouche, patron depuis 22 ans de la Taverne de la Butte, s’estime être la victime :
« Il y a eu plus de 4 procès. Ce qui monte au moins à 8 ou 10 avec les appels ! »
En tout, ce sont plus d’une dizaine de bars de la Butte-aux-Cailles qui ont été convoqués au tribunal suite aux plaintes de l’association. Une des plus belles victoires d’Anne Penneau : Avoir réussi à faire fermer la terrasse d’Idris parce qu’elle s’étendait sur un trottoir trop petit de… 1 centimètre par rapport au règlement. Et ce malgré un avis favorable de la mairie.
« Ce n’est pas du pinaillage ! Et puis de toute façon des terrasses de 0,60 centimètres comme autorisé aujourd’hui, c’est beaucoup trop grand », se justifie la quinquagénaire.
Idris, qui a dû « gratter son mur », pour réinstaller une terrasse, envisage de porter plainte pour « harcèlement » devant « l’acharnement » de Mme Penneau.
Textos vénères
S’endormir un samedi soir à Paris avant 1 heures du mat’ peut effectivement relever de l’exploit dans certains quartiers. L’association de riverains Accomplir a mis en ligne des textos de voisins envoyés à des gérants de bar*s qui sentent bon le cou de chevrotine à cause du manque de sommeil :
« Faites taire ce connard de barbu : qu’il nous fiche la paix et vous aussi ! »
Ou encore :
« Méfiez-vous des riverains : on en a juste marre de vous, ça va très mal se passer »
Ambiance boules quiès assurée. Car si certaines associations de riverains en font trop, les patrons de bars qui font payer 8€ la pinte ne sont pas des anges non plus.
3 Qui sont-ils ?
Sous la houlette d’Elizabeth Bourguinat, la « pitbull » des Halles, qui avait réussi à reporter le permis de démolir le jardin des Halles ou s’était attaquée à la rénovation de la Samaritaine, le réseau Vivre Paris écrit régulièrement aux ministres, maires ou députés.
Si vous avez envie de rejoindre ce groupe de pression, c’est par ici.
Anne Penneau a réussi à imposer l’arrêté anti-alcool
Mais c’est un projet messianique qui dépasse largement le sujet du tapage nocturne que portent certaines associations de riverains. Anne Penneau, par exemple, de se voir comme « le jardinier qui prend soin des arbres, par pour lui, puisqu’il va mourir, mais pour les générations futures. » Une bataille qui se mène pêle-mêle contre « la mondialisation » :
« On est inféodé à une concurrence mondiale quand on nous dit que Paris n’est pas assez attractif par rapport à Berlin. »
… Et aussi contre la finance :
« En ces temps de crise, il faut mieux que les gens se bourrent la gueule plutôt qu’ils réfléchissent. »
Un discours à la limite de la paranoïa qui ressurgit quand il est question des pouvoirs publics :
« Ils parlent tous d’une même voix ! La police, la mairie, les monteurs d’affaires. C’est évident qu’ils marchent ensemble ! Ils ne veulent pas qu’on touche à leurs espoirs de poule aux œufs d’or. »
Un petit noyau de résistants face à l’empire de la mondialisation… C’est d’ailleurs en parodiant le village d’Astérix, qu’Anne Penneau présente son association dans ses tracts.
Dandy du silence
Si Yvon Le Gall, look de dandy, milite dans l’association « Vivre le Marais ! », c’est lui, pour défendre « le beau ». Un concept qui, pour l’élégant monsieur de 47 ans à la dégaine de commissaire-priseur, s’accorde mal avec la vie nocturne :
« Voir des gens qui défèquent dans la rue ça arrive très régulièrement ! Dans une des plus belles villes du monde, vous vous rendez compte ? Ils n’arrivent pas à se rendre compte qu’ils vivent dans une ville pareille ! »
Yvon Le Gall, de l’association « Vivre le Marais ! », n’aime pas le bruit. / Crédits : Robin D'Angelo
Sur le blog de l’association « Vivre le Marais ! », vous trouvez donc des articles acerbes contre « les guérites d’Autolib’ », « ces troncs de cylindre genre boîte de camembert avec méplat » ou contre des installations de street-artistes- pourtant assez élaborées – requalifiés « d’artistes de trottoirs ». Même les SDF qui nourrissent les pigeons en prennent pour leur grade.
Mais c’est surtout contre la multiplication des bars gays qu’Yvon Le Gall – lui-même homo, il tient à le préciser – est très remonté. Une « mono-activité » qui donnerait au Marais des airs de Ciudad Juarez une fois la nuit tombée :
« C’est mécanique ! Avec tous ces bars, les gens qui sont dehors la nuit deviennent des proies potentielles ! Il y a une recrudescence des dealers ! »
Sur son site, l’association « Vivre la Marais ! » recommande par exemple aux riverains de « privilégier, à pied, des trajets parsemés de caméras » et estime qu’il est « indispensable de bien protéger ses papiers et son portefeuille lorsque l’on se déplace [dans le Marais] »… Rien que ça !
Extrémistes
« Le problème, c’est qu’il y a un certain nombre d’extrémistes qui ont un point de vue inconciliable avec un peu de conversation », se désole Francis Combrouze de la mairie du 13e, longtemps correspondant municipal dans le quartier de la Butte-aux-Cailles. Ian Brossat, qui vient d’être débouté dans une affaire de diffamation contre l’association de riverains Accomplir, fait lui valoir qu’il n’y a pas de « réelle procédure contradictoire » quand ces collectifs déposent plainte :
« C’est l’arbitraire qui règne sans que les gérants aient leur mot à dire »
Car c’est à « l’appréciation des agents de police » que sont distribués les PV qui peuvent entraîner les fermetures administratives. Joint par StreetPress, Serge Quilichini, commissaire du 13e arrondissement, explique être soumis à une forte pression puisque « systématiquement, ce sont presque toujours les mêmes personnes qui nous avisent chaque week-end. Et souvent après coup, avec des photos. » Et les décisions sont « compliquées » à prendre, compte tenu de la difficulté de mesurer les infractions liées au bruit.
« Une des solutions, ce serait de condamner l’abus de recours aux numéros d’urgence pour tapage nocturne », propose Ian Brossat qui fait référence ici à une proposition de loi de décémbre 2011 de la députée PS de Paris, Sandrine Mazetier.
4 Combien sont-ils ?
Mais c’est surtout la légitimé de ces associations hyperactives qui est remise en question par les activistes de la nuit. Car quand ils ne gonflent pas le nombre de leurs adhérents, c’est le flou le plus total sur leur poids. Anne Penneau revendique 200 adhérents dans l’association des riverains de la Butte mais refuse d’apporter la moindre preuve. Un chiffre qui amuse beaucoup Armelle Trouche, militante anti-arrêté préfectoral :
« C’est un tout petit groupe. Elle, elle présente bien : elle est plutôt belle femme, une prof de droit. Mais autour d’elle il n’y a que des vieux avec un discours incohérent ! »
Encore plus cocasse, « Vivre le Marais ! » clame réunir 1.600 riverains. Mais dès que l’on creuse la lecture des comptes-rendus de conseil d’administration, consultables en préfecture, le responsable de l’association n’évoque plus qu’un « ordre de grandeur estimé ». Il explique aussi avoir recours à des « adhésions collectives » d’un conseil syndical, qui comptabilise de facto tous les habitants d’une copropriété.
Le responsable de l’association « Vivre le Marais ! » n’en dira pas plus sur son nombre d’adhérents mais continue à se poser des questions métaphysiques sur les us et coutumes des jeunes d’aujoud’hui :
« Intellectuellement j’ai beaucoup de mal à comprendre les gens qui achètent un pack de bière et le boivent sur un banc dégueulasse. »
Jean-Pierre Meneboo, représentant du Cox, insiste lui sur les intrigues personnelles, qui sont parfois à l’origine de ces guerres de voisinage : « Yvon Le Gall était surtout un ancien habitué d’un de nos établissements. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. » D’ailleurs, le porte-parole de « Vivre le Marais ! » est aussi le boss du syndicat de copropriétaires de l’immeuble du Cox. Et c’est contre les établissements de l’équipe de Meneboo que se concentrent les plaintes de son association.
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