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    11/10/2012

    « Je ne souffre pas autant que ceux que je photographie »

    Corentin Fohlen, photoreporter indépendant, de la banlieue parisienne à la Libye

    Par Elodie Font

    « La photo a une influence. » Corentin en sait quelque chose, lui qui parcourt la planète depuis presque 10 ans, appareil en bandoulière, pour capter jolis portraits et terribles situations. Jusqu'à parfois risquer sa vie.

    Peut-être avez-vous déjà aperçu une de ses photos, en Une du Time, de Newsweek ou du Monde. Des visages, des ombres, des drapeaux. À 31 ans, Corentin Fohlen a foulé la terre de dizaines de pays, a ramené des milliers de photos, a vu son nom accolé à une bonne cinquantaine de Une, a même déjà reçu le prix du jeune photoreporter du festival Visa pour l’image pour une photo prise en Thaïlande. Dans une profession profondément touchée par la crise, Corentin s’en sort particulièrement bien. « Je vends pas mal de photos, oui, surtout que j’ai une grosse base d’archives. Mais c’est un métier précaire, je ne peux pas savoir si j’arriverai toujours à en vivre dans un an. »

    De passion en passion À l’origine, bien avant que sa vie s’enroule autour de la photo, Corentin rêvait plutôt d’être dessinateur de BD. « J’ai toujours été quelqu’un de passionné. En fait, je fonctionne beaucoup par obsession. Et d’un coup, presque du jour au lendemain, alors que j’étais dans une école de BD à Bruxelles, je me suis rendu compte que ma passion, c’était plus la photo que la BD. » Il se désintéresse des planches, passe des heures dans le labo photo de l’école, erre pendant de longues journées dans les rues de la capitale belge à l’affût d’une histoire à photographier. « Je ne prends pas une photo pour en prendre une, mais parce que le rendu que je vais avoir de l’événement m’intéresse. »

    Mais, pour réaliser son premier book, il passe surtout la plupart de ses week-end à photographier les manifs parisiennes. Si vous avez croisé, au cours d’une manif en 2002-2003, un jeune homme aux cheveux noirs bouclés et aux lunettes à la Harry Potter, c’était peut-être lui. « Après Bruxelles, je suis venu m’installer à Paris, et c’est vrai que j’ai toujours trouvé dans les manifs quelque chose d’exaltant. Et puis c’est super dur de se renouveler, la photo de manif, c’est toujours un peu la même, donc c’est un super exercice pour un débutant. » Et ça marche : en 2004, sur les conseils de son ami Rémi Ochlik (le journaliste tué en Syrie en février dernier, ndlr), Corentin est embauché dans une première agence.


    (© Corentin Fohlen)

    Je ne peux pas savoir si j’arriverai toujours à en vivre dans un an.

    Révolution orange et Ceuta « Être embauché dans une agence, je me souviens, je trouvais que c’était génial. Un peu comme un rêve qui se réalisait. Bon, même si, dans cette première agence pas du tout connue, la fille qui s’occupait de nous était un peu illuminée. Mais franchement, elle a eu le mérite de me donner ma chance. » Chance dont il se saisit pour commencer à voyager : « J’ai très vite compris qu’aucune agence ne m’enverrait moi, jeune photographe débutant, à l’étranger*. Qu’il fallait que je me débrouille tout seul si je voulais bouger. » Autrement dit : il faut qu’il se finance lui-même ses voyages et ses appareils photo (lire ci-contre), en puisant sur le salaire de son mi-temps à la Fnac. « Ma première année d’agence, j’ai gagné… 500 €, donc c’est pas ça qui me faisait vivre ! »

    Premier voyage en tant que photographe : l’Ukraine, où  se termine la révolution orange. « Avec un pote, on s’est tapés 40 heures de bus, 40 heures bien complètes, et on est arrivés le dernier soir du dernier meeting. À une demi-heure près, on repartait bredouilles. » Quelques semaines plus tard, le voilà au Maroc, à traverser le pays du nord au sud en une nuit de taxi (après une nuit pluvieuse, seul sur une colline dans la forêt où se cachent les réfugiés qui tentent de franchir les grilles de l’enclave espagnole Ceuta) pour arracher une photo de clandestins renvoyés dans leur pays d’origine. Là encore, à quelques minutes près, c’était plié.

    « Encore aujourd’hui, même avec pas mal d’expérience, c’est toujours compliqué de savoir quand partir. Faut pas que ce soit trop tôt pour que les journaux en parlent et te prennent des photos ; faut pas que ce soit trop tard non plus, quand ils ont déjà envoyé leurs envoyés spéciaux sur place. »

    Photographe de guerre Corentin quitte sa première agence, puis une deuxième, puis une troisième. « J’ai finalement compris que pour faire mon métier correctement, il valait mieux être indépendant. » Depuis 2006, il fait partie d’une asso, Fédéphoto, où, en échange d’un abonnement mensuel, il rediffuse ses photos sur un serveur très apprécié par les journaux et les agences de presse. « Le gros avantage, c’est que tu n’as pas à redonner une partie de ton salaire à une agence. Là, c’est toi qui facture directement. » Et c’est lui qui contacte inlassablement les journaux, tous les journaux, de la Croix au Monde en passant par Néon. « Ceux qui me commandent le plus de reportages, je crois que ce sont le New York Times et Pèlerin. »

    De manif en voyage, arrive le premier reportage de guerre. 2008, le Nord-Kivu, au Congo. Triste clin d’œil, avec le recul : sur place, il débarque avec ses deux potes, Rémi Ochlik, encore lui, et… Lucas Dolega – le photojournaliste qui succombera à sa passion en Tunisie, en janvier 2011, en Tunisie. Lucas pour lequel Corentin a co-créé une asso et un prix à sa mémoire. « On voulait perdurer son souvenir et montrer que le travail des photographes et dangereux et important. Les gens ont toujours tendance à penser que la photo, c’est simple, c’est un métier super cool, mais c’est bien plus complexe que ça. »

    Lui-même a failli laisser sa vie dans un reportage. C’était en Libye, en 2011.

    « J’étais dans une voiture avec des rebelles et ils fonçaient à tombeau ouvert vers les forces de Kadhafi, y’avait des tirs de tous les côtés, des bombardements… Mais là où j’ai eu le plus peur, je crois, c’était le même jour, un peu après, on était au sol, et fallait courir, courir avec des balles qui sifflaient dans tous les sens, j’en sentais qui me frôlaient, tu cours et quand tu réalises qu’au bout, t’es vivant, tu ne sais même pas comment c’est possible que tu vives encore. »

    Sursaut et détachement Vous imaginez Corentin raconter ce genre de souvenir la voix tremblotante ? Stoppez-là votre imagination, notre photoreporter n’a rien d’une victime. « Je déteste m’apitoyer sur moi, comme le font certains photographes. Oui, parfois, je vis des situations difficiles, je vois des gens qui vivent dans des conditions dramatiques, mais je ne souffre pas autant que ceux que je photographie. Y’a quelques jours, j’étais à Madagascar, je me suis retrouvé à patauger jusqu’au-dessus des genoux dans des poubelles géantes, mais quelques heures après, je me douchais, je reprenais ma petite vie à Paris. Faut avoir du recul sur soi. » Corentin va plus loin dans le raisonnement : « Non seulement il faut prendre de la distance, mais dans l’idéal, le photographe est invisible. Pour moi, il ne faut jamais modifier le cours des évènements, il ne faut pas photographier une émotion qui n’existe que parce que le photographe est là. Un jour, un flic violent a arrêté de tabasser un jeune parce que j’étais là, évidemment que c’est bien, mais en même temps, ma photo aurait eu plus d’influence, plus d’impact si on avait vu la réalité de la situation. »

    A-t-il parfois cette vision noircie du monde que racontent beaucoup de photographes du monde ? Cette incapacité à se re-soucier des petits détails saoulants de la vie ?

    « J’ai une capacité de réadaptation assez étrange, je dis étrange parce que je vois bien qu’autour de moi, tous les gens ne réagissent pas de la même manière. Mais c’est vrai que, quand je débarque dans un pays, je suis tout de suite dans mon élément, et quand je reviens à Paris, je suis aussi dans mon élément. J’ai cette chance. »

    Conséquences, tout de même, sur sa vie : il sursaute quand il entend un bruit fort, une porte qui claque par exemple (« ça, c’est surtout depuis l’Afghanistan, le matin, je me réveillais en entendant des tirs de roquettes ») et il a développé une bonne dose d’humour noir (« comme les humanitaires »). Et il est tombé amoureux d’une journaliste aussi bourlingueuse que lui. Ça, c’est pour le happy end du portrait.

    J’étais dans une voiture avec des rebelles et ils fonçaient à tombeau ouvert vers les forces de Kadhafi, y’avait des tirs de tous les côtés


    (© Corentin Fohlen)

    bqhidden. Pour moi, il ne faut jamais modifier le cours des évènements

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