Dans la rue, Gaël ne passe pas inaperçu. Un smartphone pommé greffé dans une main, un GPS souvent collé à l’autre et… des baskets à roulettes pour « gagner du temps ». Néo-chargé de mission open data (données libres, in french) à La Fonderie, l’agence numérique de l’Ile-de-France, président d’OpenStreetMap France, père de deux enfants, danseur passionné, concepteur de capteurs météo : à 32 ans, Gaël surfe sur 1.000 dossiers à la fois. Ne s’arrête que quelques heures par nuit, et encore.
« Me reposer m’ennuie. J’ai besoin de me sentir utile, d’être constamment dans l’action. Sinon, j’angoisse. »
Et ce ne sont pas que des mots : il y a quelques mois, alors qu’il s’ennuie au ministère de l’écologie où il travaille, il tombe malade, une tachycardie sinusale qui perturbe son rythme cardiaque (« un truc pas cool »). Hyperactif compulsif, on vous aura prévenu.
À cause du cyclone Hugo « Alors, je commence par te raconter quoi ? » Gaël, le sourire facile, se marre. Avant de se lancer dans son récit, il prend une seconde pour envoyer une photo de son café gourmand à la femme qui partage sa vie depuis… 11 ans. « Bon, c’est facile, ma passion, elle commence en 1989. L’ouragan Hugo (ndlr : un ouragan particulièrement violent qui a tué 100 personnes) a ravagé la Guadeloupe, et le toit de ma maison avec. J’étais complètement traumatisé, j’ai vu l’œil du cyclone alors que c’est très rare. » Du haut de ses 9 ans, il se promet « d’empêcher que ça arrive à nouveau ».
« À partir de ce moment-là, les données météo m’ont passionnées, j’ai construit – et je construis toujours d’ailleurs – des capteurs météo. J’ai commencé à récolter des données via un labo de recherche américain sur la météo en libre-accès, à les étudier. J’étais hyper heureux. Encore aujourd’hui, si tu me mets devant un écran d’ordi avec plein de chiffres qui défilent, je suis super content. Comprendre les données, c’est comme avoir… je sais pas… un sixième sens ! »
Amusé, de légers cheveux blancs parsemant sa coupe afro fraîchement taillée, un médaillon argenté de la Guadeloupe autour du cou, il avoue avoir été « un enfant à part » : « Je finissais tellement vite mes devoirs de physique ou de maths que je les filais ensuite à toute la classe. » Il rit franchement : « J’étais déjà un partisan du libre-accès. » Le fait est qu’il crée son premier logiciel libre à 16 ans.
Gaël, fan d’Usher
Si tu me mets devant un écran d’ordi avec plein de chiffres qui défilent, je suis super content
Envole-moi 21 ans, l’âge couperet. Aucune école d’ingé météo n’existe en Guadeloupe. « J’y suis resté le plus tard possible… j’ai fait maths sup, maths spé là-bas, mais là, j’étais obligé de partir. » 11 ans après, il y retourne toujours 3 ou 4 fois par an. « La Guadeloupe, le soleil, les filles, la danse, c’est aussi moi. Mes potes me disent que je suis un geek à femmes ! » À femmes ? À femme plutôt puisqu’à 21 ans, il rencontre à Rouen celle avec qui il a deux enfants, de 3 et 5 ans. « Elle me régule, elle a beaucoup plus les pieds sur terre que moi. » Ensemble, ils ont déjà déménagé 3 fois. À chaque fois, elle a quitté son travail d’assistante de direction pour le suivre.
De Rouen à Troyes, d’abord, quand l’entreprise où Gaël est apprenti ingé météo fait faillite. « J’ai continué mes études à Troyes, mais j’étais un peu déprimé. On galérait vraiment, on comptait chaque euro, j’avais un crédit étudiant sur le dos, fallait que j’enchaîne les petits boulots de nuit pour faire tout, c’était super dur. » S’il a autant de difficultés à finir les fins de mois, c’est parce que ses parents ne lui ont plus donné d’argent depuis ses 18 ans. « Ils ne comprennent pas mon mode de vie, enfin disons que ce n’est pas le leur. » De galère en galère, il finit par chercher un boulot avant même d’obtenir son diplôme : ce sera Aix, le ministère de l’écologie et un poste de chargé d’études en analyse de données. Avec le recul, il en sourit : « Au moins, cette période m’a permis de savoir gérer mon stress, c’est déjà ça ! »
Giratoire et OSM Chargé d’études en analyse de données ? Euh, et en français, ça veut dire quoi ? « C’est vrai que c’est toujours un peu flou pour les gens. Même ma copine a parfois du mal à expliquer ! Alors, concrètement, on filmait les véhicules au bord des routes pour savoir combien de voitures prenaient tel itinéraire, à quelle heure, quels jours etc… Ensuite, on se servait de ces données pour planifier des projets d’aménagement du territoire, un giratoire en plus par exemple. »
Gaël, ze story:
> 1980 : naissance en Guadeloupe> 1989 : cyclone Hugo qui ravage une partie de sa maison
> 1996 : Crée son premier logiciel libre
> 2001 : Arrivée à Rouen, rencontre avec son amie
> 2006 : premières contributions à OpenStreetMap, trouve un boulot à Aix
> 2007 : naissance de son premier enfant
> 2009 : naissance du deuxième enfant
> 2010 : achat des chaussures à roulettes
> 2011 : devient président d’OpenStreetMap France
> 2012 : quitte Aix pour Paris, débute son taf à la Fonderie
Surtout, il ajoute une nouvelle corde à son arc en 2006 en devenant contributeur à OpenStreetMap (OSM) France, un cousin éloigné de Google Maps. Ici, pas de photo aérienne, mais énormément d’infos représentées par des pictogrammes - du point d’eau aux arrêts de bus, libérer les données des plans de transports en commun étant également dans les tuyaux. Tout a été dessiné numériquement par des contributeurs d’OSM (ils sont aujourd’hui 10.000) et, vous l’aurez compris, toutes les données sont li-bé-rées.
« Quand je me promène dans la rue, je note tout, je visualise toujours numériquement mes trajets. C’est un truc que j’ai toujours eu en moi : déjà petit, je notais toutes les données sur mes itinéraires. Maintenant, dès que je marche, je me demande comment je vais pouvoir le représenter sur OSM. »
Une passion un brin dévorante, même pour un hyperactif : « c’est vrai que dès que je me promène, j’y pense. » Même quand il prend une (très rare) semaine de vacances en famille. Même le dimanche, avec ses enfants « fiers de voir papa sur Internet » : « Ils sont habitués, je suis en train de cartographier la ville où je vis, Vernon. (à 39 minutes en train de la gare Saint-Lazare, ndlr) Et puis, ils adorent déjà bidouiller. Les deux, à 5 et 3 ans, arrivent à filmer avec un smartphone, par exemple. »
Hollande au quotidien Sauf qu’un jour, les données automobiles d’Aix-en-Provence commencent à le lasser. Un rythme « trop lent », la sensation de ne plus se sentir utile, peu de moyens, l’innovation au point mort. Le drame pour Gaël. Alors, après avoir alterné plusieurs mois entre son boulot à Aix et la Cantine à Paris – un espace de co-working et de conférence dédié aux nouvelles technologies, il penche définitivement vers la capitale, même si la ville ne l’enchante pas. C’est gênant pour un amoureux des rues et des cartes ? « Non, parce que j’habite en-dehors. Et puis je ne suis pas à une contradiction près : j’adore cartographier et pourtant, j’ai un très mauvais sens de l’orientation, je confonds ma droite de ma gauche ! »
Il débarque ici, à Paris, après avoir dégoté une opportunité en or : travailler dans l’équipe numérique d’Hollande pendant la campagne présidentielle, entre janvier et mai 2012. L’a-t-il croisé souvent, le futur président de la République ?
« Oui, tout le temps. Mais honnêtement, je ne suis pas du tout du genre groupie, j’ai pas ma carte au PS, pour moi mon job était séparé de mes éventuelles opinions politiques. J’étais dans l’équipe technique et ce qui était excitant, c’était le nombre de données à traiter, le rythme qui s’accélère au fur et à mesure des semaines. Je devais cartographier tous les évènements de la campagne, les meetings, le porte-à-porte etc… »
Etait-il heureux, le 6 mai, sur la place de la Bastille ? « Comme quand on vient de faire gagner un client, oui. »
La danse d’Usher Depuis mai 2012, il enchaîne les conférences pour OpenStreetMap France, qui s’est constituée en asso en octobre 2011 et dont il est devenu le président à ce moment-là – « j’en suis à 56 évènements depuis le début de l’année. Quand tu sais que y’a pas mal d’évènements qui durent plusieurs jours, c’est assez énorme à caser dans un emploi du temps, surtout que je ne suis jamais rémunéré, je fais ça pour le plaisir. Là, par exemple, je reviens du Japon… »
Alors, évidemment, Gaël Musquet, aka @RatZillaS sur Twitter, est « en flux tendus ». D’où le besoin de marcher sur des roulettes pour aller toujours plus vite, comme les JO. Mais sérieusement, pourquoi des chaussures à roulettes ?
« Bon, ok, c’est aussi parce que j’adore danser, c’est une autre de mes passions, on danse ensemble avec ma copine toutes les danses afro-caribéennes et latino-américaines qui peuvent exister. Et je me demandais comment Usher, dans ses clips, pouvait faire pour danser comme il danse, et j’ai capté qu’il portait ce genre de chaussures alors je me les suis offertes comme cadeau de Noël il y a presque deux ans. Je peux même te donner la date : le 10 décembre ! »
Depuis, il les chausse en permanence. Sauf quand il commence un nouveau job, comme en ce moment, à la Fonderie, où il va travailler sur… des cartes et des données. « Eh oui… c’est la vie, les données ! »
bqhidden. On danse ensemble avec ma copine toutes les danses afro-caribéennes et latino-américaines qui peuvent exister
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