Paris 11e – 31 mai. A quelques encablures de la place de la Bastille, boulevard Richard Lenoir, près de 600 personnes sont assises à même le sol. Un terre-plein fait office de tribune pour l’assemblée générale des « indignés ». Une majorité de jeunes, bien sûr, mais pas seulement. Des militants associatifs, des vieux de la vieille de la contestation, quelques bobos, lunettes Ray Ban vissées sur le nez, écoutent avec sérieux. Beaucoup prennent des notes dans un cahier d’écolier.
Fuck les journalistes, sauf France-Inter Le monsieur Loyal improvisé commence par rappeler les règles et répartit les tâches. Même s’il rejette toute appartenance ou récupération politique, on sent l’expérience acquise dans les luttes étudiantes ou syndicales. Premier chapitre à l’ordre du jour, le résumé « de l’état de la mobilisation »: « ce matin les journalistes de France Inter ont officiellement appelé à rejoindre le mouvement ». Standing ovation pour la radio de service public… Sauf que du côté de France Inter on assure qu’aucun appel de ce type n’a été lancé. « On couvre évidemment la mobilisation. Sans doute qu’un enregistrement d’un militant appelant à la mobilisation a été diffusé dans un reportage », nous précise Bruce de Galzin, journaliste au sein de la station de service public.
Ces applaudissements seront les seuls compliments offerts aux journalistes, accusés de « manipuler l’information ». « On sait à qui appartiennent les médias, on s’en méfie! » lance un peu plus tard Nicolas, le rapporteur de la commission France, cheveux bruns et barbe abondante.
Nique la police, mais keep cool Une autre nouvelle suscite une vague d’applaudissements: « Partout en Espagne, les indignados ont manifesté devant les consulats de France pour protester contre l’expulsion de la place de la Bastille » [dimanche soir]. « Quand j’ai appris ça, ça m’a fait chaud au cœur » raconte Florent. Dimanche il subit l’évacuation violente de la police, plaqué au sol par le genou d’un CRS. « A un moment j’ai voulu simplement tourner la tête, le flic m’a répondu ‘tu ne regardes pas’ et m’a violemment poussé la tête contre le sol.» De cette expérience, il garde quelques bleus, des griffures et un gros coup au moral. « Toute la nuit j’étais tremblant. C’est parce que c’était ma première fois.»
Creative Commons Les rapporteurs des différentes commissions se succèdent au mégaphone. La commission légale ouvre le tour de paroles: « On a appelé le syndicat de la magistrature pour avoir quelques conseils pour réagir face à la police. On prépare un tract avec le numéro de quelques avocats à appeler en cas d’interpellation. » Dans la foule un document circule de main en main. Il rappelle quelques conseils pour éviter les tensions avec les forces de l’ordre. Le tout, étayé par les articles de loi correspondant. Un document siglé « Créative Commons ».
Twitter et marguerites jaunes C’est ensuite au tour de la commission internationale: « La mobilisation gagne toute l’Europe. Ils sont plusieurs centaines de milliers en Grèce et en Espagne, mais il y a aussi des indignés en Allemagne, dans les pays nordiques. » Deux dates de mobilisation mondiale sont fixées. Le 15 juin, pour « des actions symboliques » et le 19 juin pour un rassemblement. Dans l’assemblée, de nombreuses têtes sont penchées sur des smartphones. Connectés à Twitter, ils live-tweetent la réunion. Depuis dimanche #frenchrevolution arrive dans les premières places des tags. Le rapporteur de la commission France liste les thématiques « sur lesquelles il faudra réfléchir et faire des propositions. Précarité et chômage, bien commun et service public, démocratie et institutions, médias. » Les indignés français semblent avoir entendu les conseils du révolutionnaire tunisien @Slim404 Des marguerites jaunes circulent. Certains les accrochent à leur boutonnière, d’autres se les glissent dans les cheveux. La révolution des marguerites est peut-être en marche.
Le dream des Indignados: «Ce matin les journalistes de France Inter ont officiellement appelé à rejoindre le mouvement»
Florent s’est fait plaquer au sol par un CRS dans la manif qui a eu lieue dimanche
V’la les espagnols Parmi les rapporteurs de nombreux accents espagnols se font entendre. Carlos a fait le voyage depuis Madrid pour venir soutenir les Français. « Ce sont les mêmes motivations qui animent les jeunes de chaque côté des Pyrénées. Il y a pour l’instant en Espagne peut-être un peu plus d’horizontalité, ici les choses restent très hiérarchique en AG [assemblée générale]. Mais tout ça me rappelle les premiers jours de la mobilisation espagnole. » Il promet de rester jusqu’au bout!
Côté commission Espagne on a visiblement débordé des questions purement ibériques. « On voudrait apporter aux espagnols un peu de notre culture de la lutte. Applaudissements. Nous voulons faire un «sondage de doléances.» Le terme sondage ne semble pas faire l’unanimité dans l’assemblée. Jean-Luc, rapporteur de la commission, précise l’idée. « On va faire notre propre sondage, pour connaître les vrais problèmes des gens. Avec des questions fermées, mais aussi des questions ouvertes. Il faut s’organiser avec des sociologues et des statisticiens pour obtenir quelque chose de vraiment représentatif. C’est un projet sur le long terme, on n’obtiendra rien avant trois mois. »
Prochain rendez-vous, jeudi 19h Après le temps des rapports, place aux débats. Pablo, adolescent aux cheveux bruns et au visage encore poupin prend la parole pour défendre l’idée d’une commission lycéenne. Malgré son jeune âge il fait preuve d’une grande culture politique. « On dit que les salariés ont plus de poids parce qu’ils pèsent sur l’économie, mais les lycéens sont facilement mobilisables. Ils n’ont pas la contrainte du salaire. En plus quand on se mobilise on a un impact sur toutes les couches de la société. » Sa proposition lui vaut une longue standing ovation. Un sans domicile fixe fait intrusion dans les discutions et lance à la cantonade: « Donnez un coup de main aux gens au lieu de faire des AG, bande de tapettes.» Il est gentiment, mais fermement poussé sur le côté. Une femme, la cinquantaine, lit un texte en faveur « des plus marginalisés d’entre tous, les fous. » Malgré ses difficultés de lecture, l’assemblée reste attentive. C’est le moment des votes. Sans surprises les propositions reçoivent l’assentiment unanime. Le prochain rassemblement est fixé à jeudi, 19 heures. Quelques dizaines de militants partent rejoindre le 36 rue Botzaris où une vingtaine de migrants tunisiens occupent un bâtiment utilisé par le régime de Ben Ali comme siège français de son parti.
Carlos, venu tout droit de Madrid pour soutenir le mouvement
bqhidden. Un SDF pendant l’AG des Indignados: «Donnez un coup de main aux gens au lieu de faire des AG, bande de tapettes»
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