« Viens chez moi, j’ai préparé des tartes expérimentales. » Damien mord à l’hameçon. Yasmine, ma coloc, accepte de sacrifier sa réunion militante pour rester à la maison. Au menu : quiche à l’emmental et aux vers. Et sa salade verte en accompagnement. En guise d’apéritif, grillons poivre-sel et criquets sauce BBQ.
Ce soir, on sauve le monde ! Finie la crise alimentaire planétaire ! Car oui, de l’avis de la FAO (le fonds des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture), les insectes sont LA solution : ils sont plein de protéines, leur élevage est beaucoup moins coûteux que ceux des autres viandes, ils produisent moins de déchets et émettent moins de gaz à effets de serre. L’Union européenne a d’ailleurs débloqué 3 millions d’euros pour soutenir des projets de recherche portant sur les insectes comme sources de protéines.
ROUND #1 : les insectes emménagent
Réaliser ce dîner futuriste écolo-responsable n’a pourtant pas été sans peine ! Certes, les criquets sauce BBQ, déjà cuisinés, se commandent sur Internet ou s’achètent directement à l’épicerie anglaise, derrière la place de la République, à Paris. Mais les choses se corsent pour les grillons et les vers de farine de la quiche : où trouver des produits frais ? Car qui dit frais, dit vivant. Leur commercialisation pour l’alimentation humaine n’est pas autorisée. Pourtant, pas question d’aller ramasser des scarabées au bois de Vincennes. Tous les insectes ne sont pas comestibles. Et parmi les 1.700 espèces qui le sont, mieux vaut des insectes non contaminés par les pesticides ou les crottes de chien.
Dévouée pour la cause, je mène l’enquête et finis par m’adresser à un magasin qui vend de la nourriture pour… reptiles. 20 grillons coûtent 1,72 €, et 100 g de vers de farine, 2,43 €. Plus le coût du transport (13 €) puisque j’ai choisi un magasin dans l’est de la France. Déjouant la vigilance du gardien de l’immeuble, je réussis à récupérer mon colis avant que l’étiquette fluo « animaux vivants » n’attire son attention.
Ça y est, les bêtes sont dans la place. Du carton s’échappent de petits frottements : victoire ! Mes insectes ont bien supporté le déménagement. J’ouvre prudemment le colis, et me retrouve avec 4 boîtes en plastique, percées de trou : 2 boîtes de grillons et 2 boîtes de vers de farine.
Résultat au terme de ce premier round : 100 pour moi, 0 pour les insectes.
Où trouver des produits frais – et donc vivants – à Paris?
ROUND #2 : les insectes passent à la casserole
Next step : les faire passer de l’état vivant à l’état « prêts pour la quiche ». Faut-il ouvrir maintenant la boîte de grillons ? Ils risquent de sauter et de s’échapper. Les vers auront plus d’inertie, mais si je renverse la boîte par inadvertance, ils vont grouiller sur le carrelage de la cuisine.
J’opte pour une opération en deux temps, qui a aussi l’avantage d’être moins cruelle. Un petit détour par le congélateur pour les étourdir. Deux heures plus tard, j’enfourne les grillons. Thermostat à 200° C. Un doute m’assaille : si, malgré le traitement de choc que je leur inflige, ils étaient encore vivants ? Vous resterez bien encore 10 minutes dans le four, hein ? Résultat : les grillons sont carbonisés. Les vers, eux, passent à la poêle. Ça saute, ça fume, ça crépite. Et surtout, ça pue ! Une odeur de viande grillée tenace et rance. J’ai beau me dire que je supporte parfois l’odeur du McDo, là c’est pire et ça passe mal.
Passons aux choses sérieuses : la quiche. J’applique une recette proposée par Bruno Comby, le gourou de l’entomophagie, le fait de manger des insectes, en France : la quiche aux « ténébrions », l’autre nom des vers de farine. Place à la valse des ingrédients. Pâte brisée, œufs, crème fraîche, poivre, sel, emmental. Et mes ténébrions, que je passe à l’eau pour les laver. Ultime précaution hygiénique… 45 minutes plus tard, la quiche, dorée, est sur la table.
Résultat à l’issue de ce deuxième round : 80 pour moi, 20 pour les insectes. L’odeur était trèèès dissuasive.
“ J’ai beau me dire que je supporte parfois l’odeur du McDo, là c’est pire et ça passe mal. “
ROUND #3 : le fabuleux voyage des insectes dans l’estomac
On sonne ! Damien arrive avec un vin de Touraine. Le match humain-insecte peut commencer.
La mise en bouche d’abord : j’avale sans peine les grillons poivre-sel et les criquets sauce BBQ. Damien se sert quelques verres avant de sauter le pas. Yasmine hésite. Tout en reconnaissant que le blocage est uniquement culturel. Je me lance dans une tirade enflammée sur les bienfaits de l’entomophagie : « en 2050, la population mondiale dépassera 9 milliards d’êtres humains. 70 % des terres agricoles sont déjà consacrées à la production animale. Les insectes sont 5 fois plus efficaces que les bœufs pour transformer en protéine les aliments qu’ils mangent. Ils sont riches en acides aminés et pauvres en graisses ! » Dans la foulée, je me sers une copieuse part de quiche. Les vers de farine crissent sous les dents. Un léger goût de viande se fait sentir. Presque comme une quiche aux lardons finalement.
Impressionné par cet appétit conquérant, Damien m’emboîte le pas. Las ! Alors que je me sers une troisième part, il finit péniblement la sienne en reprenant du vin. « Le problème, c’est l’odeur. » Yasmine est surtout gênée par la vue. Elle a opté pour la stratégie du camouflage et enfoui sa part de quiche sous la salade verte.
Je sors mon argument joker : « on mange déjà des insectes sans le savoir ! Dans les fraises tagada ou certains saucissons, le colorant utilisé, le E120, rouge carmin, est fabriqué à partir d’un insecte d’Amérique du Sud, la cochenille. Et dans la farine aussi, il y a des résidus d’insectes broyés. » Peine perdue : les arguments rationnels ne font pas mouche. Yasmine se rabat sur un reste de spaghettis bolo. Et Damien finit la salade de roquette.
Résultat final : 70 pour les insectes, 30 pour nous. Sans appel.
“Yasmine est surtout gênée par la vue. Elle a opté pour la stratégie du camouflage et enfoui sa part de quiche sous la salade verte.”
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