« Le Pôle emploi, t’façon, ça sert à rien ! Sérieux, y prennent qui, on a l’impression que y’en a pas un qui comprend le français ! » Ah, le Pôle emploi , né en 2008 d’une love-story inventée de toutes pièces entre l’ANPE (placement, conseil) et les Assedic (indemnités) ! Une union tumultueuse critiquée de toutes parts. Les premiers concernés ? Les conseillers Pôle emploi eux-mêmes. « Au moment de la fusion, on a tous halluciné », se souvient une des conseillères. D’où cette idée de Kader Nemer, lui-même employé du Pôle : écrire et mettre en scène une pièce de théâtre riant de leurs conditions de travail.
« Le Pôle emploi, c’est un peu la cour des miracles : c’est encore plus fou que le bistrot du coin ! »
Alors pour jouer ces petits sketchs, une douzaine d’employés a rejoint l’association fondée par Kader, la bien-nommée « chez Popole » – comprenez que le Pôle est un peu boulet, n’allez y voir aucun sous-entendu sexuel.
Les pingouins et les manchots « Pôle emploi, bonjour… » « Bonjou’, jé souis en tlain dé chéché un job. » Explosion de rire dans la salle du Pôle emploi spectacles qui accueille exceptionnellement les répétitions. Faut dire que l’actrice en herbe (qui préfère rester anonyme) est particulièrement douée pour imiter les accents. Et que pour tous, chaque scénette a un goût de déjà-vu. « J’incarne aussi une femme qui vient passer son 545ème entretien et qui finit par connaître par cœur tous les employés… » Parmi les autres personnages, le syndicaliste drogué, Nicolas Sarkozy himself (fourni avec l’épaule qui bouge et la voix qui tressaute), l’employée à bout de nerfs enchaînant les congés maladies, le vieux retraité qui n’arrive pas à quitter le Pôle ou encore Monsieur relou.
Dans la file d’attente, un (faux) employeur s’agace :
« Quelle est la différence entre Popole et le Pôle Nord ? Au Pôle Nord, il y a des pingouins, chez Popole, il y a des manchots ! »
Sourires dans la salle. Pour la première fois, les répétitions se font devant un petit public de connaisseurs : une poignée de collègues du Pôle emploi spectacles applaudissent dans l’ombre. Alain, un des acteurs, travaille au Pôle depuis 20 ans : « On se connaît de moins en moins entre les différentes agences, la pièce dénonce aussi le repli sur soi. »
Bievenue chez Popole en tournée
> Le 29 avril au Théâtre du gymnase, à Paris.
> Le 11 mai au Théâtre de Ménilmontant, à Paris.
L’envers du décor « Allez, on reprend ! » Kader stresse, hausse la voix, sourit : « C’est curieux d’être le metteur en scène de ses collègues. Je dois être plus autoritaire, plus méchant. » Les apprentis acteurs fignolent la même scène depuis une demi-heure. « C’est assez angoissant de jouer un rôle », admet Alain. Pourtant Virginie les trouve plutôt sereins. Intermittente du spectacle et scénographe, elle est en permanence inscrite au Pôle :
« Ça va avec notre statut. Quand Kader m’a proposé de participer au projet, j’ai dit oui tout de suite, c’est sympa de connaître l’envers du décor d’un milieu que je côtoie régulièrement. Le hic, c’est que c’est bénévole. »
À l’origine, ce devait être une petite pièce jouée uniquement devant quelques collègues. « C’est la directrice de l’agence Pôle emploi Stendhal qui nous a poussé. On avait déjà mis en scène de petits sketchs en décembre 2010 et ça avait super bien marché », raconte Kader, lui-même habitué de la scène puisqu’il a écumé les salles il y a quelques années . Au fur et à mesure des répets, la troupe devient plus ambitieuse et envisage même de rémunérer Virginie et les autres demandeurs d’emploi qui les accompagnent sur ce projet. « C’est vrai qu’aujourd’hui, on ne veut pas toucher uniquement un public d’initiés. Au début, on voulait surtout dénoncer et faire comprendre la guéguerre entre l’ANPE et les Assedic. Ce n’est plus vrai maintenant. »
L’ANPE, on en était fiers Et la direction du Pôle, qu’en pense-t-elle ? « Elle est au courant. Y’a pas eu de censure, faut dire qu’on se moque autant d’elle que de nous-mêmes. Mais nous n’avons pas eu d’aide non plus. » D’où l’absence de publicité et (pour l’instant) de médiatisation. « Nous, on n’a pas le temps d’aller frapper à la porte de tous les médias. Déjà qu’on répète sur nos week-end et nos jours de RTT… » Mais Kader et la petite bande ne regrettent pas :
« Le théâtre fait un bien fou, on décompresse. Et on a l’impression d’enfin dire que nous ne nous retrouvons pas dans le Pôle emploi. Autant l’ANPE, on en était fiers. Mais là, vers où on va ? »
Bienvenue chez Popole: amour, chômage et champagne …
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