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    26/04/2011

    Pourquoi la présidente des Indivisbles ne sera pas la nouvelle égérie l'Oréal

    Rokhaya Diallo: « Moi j'ai les cheveux très courts, est-ce que si j'avais une énorme afro je passerais à la télé ? »

    Par Samba Doucouré

    Dans son « essai philosophique » Racisme mode d'emploi, Rokhaya Diallo explique comment « la reformulation du discours raciste s'est faite en désignant les cultures ». Résultat à la télé: « La norme y reste le cheveu long et lisse ».

    Pourquoi t’es venue l’idée soudaine d’écrire un livre sur le racisme?

    C’est le philosophe Vincent Cespedes qui dirige la collection Philosophie chez Larousse qui me l’a proposé. Il trouvait que les Indivisibles avaient une lecture contemporaine du racisme qui valait le coup d’exposer.

    C’est une collection de philosophie, pourtant l’approche du livre est plus sociologique et historique. Par ailleurs toi tu n’as pas suivi d’études en sciences humaines…

    C’est vraiment un essai philosophique mais je m’appuie beaucoup sur des sociologues et des historiens. Je pense que pour décortiquer, expliciter et déconstruire les mécanismes du racisme il faut s’appuyer d’abord sur des notions existantes, donc je me base beaucoup sur Sartre ou Malcom X. Mais il était aussi important d’expliquer les fondements du racisme.

    Dès le départ tu expliques qu’il est acquis depuis longtemps qu’il n’existe pas de races. Pourquoi alors aujourd’hui ces définitions anciennes persistent encore?

    La question des races a été théorisée par des scientifiques qui ont fait des ouvrages très structurés dessus même s’ils n’avaient pas de fondements scientifiques réels. Leur conception a largement imprégné des générations d’hommes. C’est difficile de revenir là-dessus parce que cela a structuré des rapports sociaux à l‘échelle internationale. Même si on sait que les races n’existent pas, le fait qu’on y croit produit des effets. Le fait raciste donne une existence sociale au fait racial. Il y a des gens qui défendent mordicus l’existence des races mais plus on les interroge avec précision pour savoir comment ils les définissent et plus leurs réponses se font floues. La croyance a beau être solidement ancrée, le fondement reste très évasif.

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    Tu expliques aussi que les cultures ont remplacé les races qu’est-ce que cela signifie?

    Globalement à part quelques allumés, on sait que les races n’existent pas parce qu’on a tous fait de la biologie au collège. La reformulation du discours raciste s’est faite en désignant les cultures. On a plus la possibilité d’invoquer les races pour hiérarchiser l’humanité. Donc ce que l’on entend aujourd’hui c’est qu’il y a des cultures différentes et qu’il y a une hiérarchie des cultures. On a l’impression que certaines cultures sont transmissibles de génération en génération. Ce qui fait que même au sein des personnes ressortissantes d’une même nation on considère qu’il y a des individus imprégnés d’une culture inférieure qui détermine toutes leurs actions. Ce discours raciste on l’entend beaucoup concernant l’islamophobie. On s’en prend aux pseudo fondements de la culture musulmane pour expliquer qu’il y a des gens qui ne sont pas capables de respecter les règles de la République et de se comporter correctement en société. C’est du racisme sans races, j’entends beaucoup de gens dire : « On ne peut pas considérer que toutes les cultures se valent, certaines sont porteuses de valeurs universelles comme les Droits de l’Homme et d‘autres non. ».

    En ne hiérarchisant pas les cultures ne risque-t-on pas de fragiliser le « ciment national »?

    Je crois que ce pseudo ciment national qu’on nous vend ne convient qu’à certains. Il y a des gens qui pensent que leur culture majoritaire convient à tout le monde. La vérité c’est que ce qui peut fissurer le ciment national, c’est que certaines cultures minoritaires doivent être reconnues. Le fait de les mépriser alors qu’elles devraient avoir droit de cité sur le territoire n’aboutit qu’à créer du ressentiment et du rejet. Je ne suis pas du tout convaincue qu’éradiquer toute visibilité de leur appartenance religieuse ou culturelle puisse contribuer à affermir le ciment national.

    Tu cites dans ton livre les personnalités qui défendent ce point de vue comme Finkielkraut ou Zemmour…

    Je ne parle pas de Zemmour dans mon livre. Je ne cite que des intellectuels.

    Alors quand tu parles de « Pauvres blancs de la culture qui deviennent les chefs de bande qu’ils n’ont jamais été », est-ce que tu le vises?

    Déjà la citation elle provient de Bourdieu, je n’aurais pas l’outrecuidance de me l’attribuer. Je la trouve très pertinente et très fine, elle annonçait bien ce qui se passe aujourd’hui. Lorsque je vois Le Point titrer en Une « La droite Zemmour »  je suis affligée. C’est lui le leader intellectuel de la droite ? Autrefois les intellectuels c’était quand même autre chose. Alain Finkielkraut est un philosophe et un véritable penseur. Sa pensée n’est pas la mienne mais elle est quand même construite et argumentée. Je crois qu’il y a un certain nombre de personnes qui ont été exposés à des frustrations, à une aigreur et qui la répandent sur les plateaux de télévision. Quand je vois Finkielkraut et la tête qu’il tire, je n’ai pas l’impression que ce soit la fête dans sa vie. Ces oiseaux de mauvaise augure qui en plus sont une série de vieux ringards ne représentent pas la France que j’aime.

    Top 5: Les punchlines de Rokhaya Diallo

    « Je ne parle pas de Zemmour dans mon livre. Je ne cite que des intellectuels »

    « Quand je vois Finkielkraut et la tête qu’il tire, je n’ai pas l’impression que ce soit la fête dans sa vie »

    « Ce que fait Yamina Benguigui avec un film comme « Aïcha » ça me pose un sérieux problème »

    « Le discours qui est tenu par des gens comme Élisabeth Levy je trouve ça effrayant »

    « Michel Leeb se moquait des Noirs en les singeant »

    Robert Menard est entré dans cette catégorie?

    Menard c’est quelqu’un qui aujourd’hui est à fond sur la provoc. Il y a recette maintenant, il faut être contre tout . On est contre l’écologie, contre les homosexuels, contre l’avortement, contre les Noirs et les Arabes. Évidemment ça fait du buzz, moi aussi si je veux vendre un livre à des milliards d’exemplaires j’en fait un anti-Arabes. Je pourrais même être récompensée en obtenant des chroniques et une grosse exposition à la télévision. Après est-ce que c’est constructif? Est-ce qu’en tant que journaliste on a pas la responsabilité de ne pas devenir un levier de haine? Honnêtement le discours qui est tenu par des gens comme Élisabeth Levy je trouve ça effrayant. Malgré tout, ce qui lie ces gens-là c’est qu’ils appartiennent à une autre génération donc j’ose espérer que les plus jeunes vont apporter quelque chose de plus frais.

    Dans ton bouquin tu parles de ces filles qui profitent du business du pathos en parlant de leur excision ou de leur mariage forcé. Tu n’as pas le sentiment d’avoir été blessante à leur sujet ?

    Il y a des personnes qui souffrent en France de contraintes sexistes, je le reconnais et je me bat contre ça. Il y a une différence entre souffrir et faire du business. Concrètement ce que fait Yamina Benguigui avec un film comme « Aïcha » ça me pose un sérieux problème. Le fait que Ni putes ni soumises ait surfé sur la détresse de la famille de Sohane sans jamais avoir eu la décence de revenir vers elle une fois l’association lancée, c’est problématique. On ne peut pas faire du business en surfant sur les clichés que tout le monde a envie de voir. Tout le monde a envie de se dire que les seuls sexistes de la société ce sont les Musulmans. Je ne veux pas être blessante envers les victimes mais mon jugement est plus dur envers ceux qui instrumentalisent ce genre de cause. Je crois qu’aujourd’hui il y a un vrai créneau pour les gens comme moi qui sont d’origine étrangère pour dénoncer leur culture d’origine et se faire passer pour des personnes qui ont réussi à s’en extirper.

    Dans le monde littéraire on parle encore de « nègres », ça me pose un problème sérieux

    On trouve également un passage où tu expliques que le racisme anti-Blancs se caractérise par « un vécu individuel et une absence de sentiment collectif d’oppression  »

    Le racisme anti-Blancs ça existe évidemment mais il n’existe pas un sentiment partagé d’oppression par une majorité. Le système raciste s’est toujours exprimé par une majorité au détriment d’une minorité. Historiquement ceux qui en ont souffert ce sont les Roms, les Noirs, les Arabes, les Musulmans, les Juifs. En France on ne peut pas être issu d’un groupe minoritaire sans à aucun moment de sa vie y être confronté. Cela peut-être par une blague, par un regard, par le fait d’être refoulé voire agressé. C’est impossible en France d’être non-blanc sans jamais être exposé au racisme. En revanche on peut être blanc sans jamais être confronté au racisme, c‘est la différence fondamentale.

    Mais pour les Blancs qui vivent dans des quartiers où ils sont minoritaires, elle est où la différence?

    A l’échelle nationale, le racisme anti-Blancs n’existe pas en tant que système. En revanche dans les quartiers où les Blancs sont minoritaires, l’existence du système est évidente. Il y a une anecdote dont je parle dans mon livre, c’est celle d’une maman qui me parlait de sa fille lors d’un débat. Sa fille est l’une des rares élèves de son école à manger du porc à la cantine. Tous ces élèves là sont reclus par les autres vers une table que l’on appelle « la table des cochons ». C’est un exemple extrêmement concret de racisme systémique. Là il y a une majorité qui exprime sa domination, cela fait sens. Lorsque Alain Finkielkraut me parle de racisme anti-Blancs, j’aimerais bien qu’il m’explique à quel moment de sa vie il a été opprimé par des Arabes et des Noirs.

    Dans le monde littéraire on parle encore de « nègres », ça me pose un problème sérieux

    Il y a aussi un chapitre où tu mets en évidence la neutralité du blanc et la négativité du noir dans la langue française. Lorsque tu fais cela, tu espères une simple prise de conscience ou véritablement que l’on change notre vocabulaire?

    Lorsque j’écris sur le fait d’être blanc c’est pour qu’on prenne conscience du fait que l’identité blanche est invisible parce que c’est celle à partir de laquelle on définit toute les autres. Quand on parle de couleur chair, on parle de la soi-disant couleur neutre. Le vocabulaire laisse entendre que la majorité blanche n’a pas de spécificité. Quand on parle de personnes de couleur, on sous-entend que d’autres n’en ont pas. Lorsque l’on est blanc on ne se pense pas blanc, on est « normal ». Je suis favorable à ce que l’on réfléchisse à la manière dont on désigne les gens. Le fait que dans le monde littéraire on parle encore de « nègres », ça me pose un problème sérieux. C’est un terme très agressif.

    Concernant l’humour raciste, tu dénonces les sketchs de Michel Leeb dans les années 1980. Est-ce que aujourd’hui les humoristes du Jamel Comedy Club ne font pas la même chose au fond ? Ils jouent à fond sur les clichés eux aussi.

    Michel Leeb se moquait des Noirs en les singeant. J’emploie ce terme à dessein parce que je me souviens qu’il marchait de manière simiesque. Rire avec une connivence partagée c’est possible mais dès lors que c’est au détriment des gens et qu’une gêne s’installe, on est dans un autre registre. Je ne suis pas forcément fan de tout ce qui se fait au Jamel Comedy Club. Parfois il y en a qui font des sketchs avec des accents… je me dit que si c’était des Blancs, ça ne passerait pas du tout. En même temps à son époque Michel Leeb n’avait pas fait l’objet de contestations, c’est maintenant avec le recul qu’on conteste. C’est la preuve que les mentalités ont évoluées.  

    On considère qu’il y a des individus imprégnés d’une culture inférieure qui détermine toutes leurs actions

    Tu parles cosmétiques également, les femmes noires à la télé seraient souvent forcées de se lisser les cheveux. Pourtant tu passes bien à la télévision et tu n’as pas les cheveux lissés

    Moi j’ai les cheveux très courts, est-ce que si j’avais une énorme afro ça passerait? Peut-être, mais peut-être pas. Je suis arrivé de manière un peu atypique à la télévision puisque je suis passé par le militantisme. Pour une militante anti-racisme, avoir les cheveux crépus c’est peut-être assez cohérent. Malgré tout tu verra rarement une femme noire aux cheveux très frisés en couverture de magazine. Je ne pense pas qu’on puisse prendre mon exemple pour prouver que le monde de la télévision tolère les cheveux courts et crépus. La norme reste le cheveu long et lisse.

    Ta coupe de cheveux est un acte militant?

    Honnêtement au départ c’était plutôt de la flemme. J’en avais marre de me défriser, je trouvais qu’il y avait un espèce d’engrenage qui n’en finit plus. C’est devenu un acte militant parce que c’était à contre-courant de tout ce que la société m’imposait. A la base je ne me prenais pas pour Angela Davis.

    Christopher Baldelli, le président de RTL se défendait récemment des accusations de conservatisme au sein de sa radio. Tu permettrais entre autres de rééquilibrer les prises de paroles de Robert Menard et Eric Zemmour. Cela ne te gêne pas d’être l’alibi de RTL?

    En fait c’est très drôle de voir que RTL est très mal à l’aise d’avoir des suppôts du Front National qui officient régulièrement sur leur antenne. J’ai été surprise que le patron de RTL invoque mon nom pour expliquer que sa radio n’est pas conservatrice. Je ne dispose pas du tout du même temps d’antenne qu’Eric Zemmour. S’il y a un équilibre entre conservatisme et progressisme, ce n’est pas moi qui en suis responsable.

    Quels sont tes futurs projets à venir?

    Il y aura les Y’a bon Awards le 23 mai prochain avec les Indivisibles. La concurrence sera rude. On est aussi sur le développement d’une série d’animation pour les 6-10 ans sur France Télévision intitulée « Et toi t’es quoi? ».

    Il y a des gens qui pensent que leur culture majoritaire convient à tout le monde

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