Ce bouquin sur le lobby juif… C’était une commande de Dieudonné ?
Hélas non, ce n’est ni une commande de Dieudonné ni du Crif. Il ne fallait pas que sur un sujet si polémique, qui revient souvent dans l’actualité, il n’y ait que la parole du Crif ou de gens comme Dieudonné ou comme le Front National qui en ont une vision démoniaque. En dehors de l’histoire officielle et d’une critique trop partisane, il y a aussi une histoire à comprendre. Donc ce n’est pas Dieudonné qui m’a payé… Je n’ai eu aucun financement ni secret ni public…
A la base ce livre, c’est ta thèse de doctorat. Qui t’a financé pendant tes études ?
Essentiellement… mes parents… qui jusqu’à aujourd’hui ne regrettent pas leur choix ! Mais je suis surpris que le Crif n’ait pas, il y a plusieurs années, cherché un jeune universitaire qui ait besoin d’argent – et un universitaire qui a besoin d’argent en sciences humaines c’est pas très dur à trouver – pour qu’il écrive un livre qui soit une histoire officielle tranquille du Crif – ce qu’ils n’ont pas fait.
Et ton livre, c’est plus incisif qu’un truc tranquille…
Oui mais ça n’est pas un pamphlet. Il y a toute une série de questions pas très agréables pour le Crif : la question de son influence, la question de son argent, la question de savoir s’il arrive à avoir une autonomie vis à vis d’Israël et du gouvernement français…
Et la réponse…
La réponse, c’est que le Crif n’arrive plus à avoir une autonomie politique ni par rapport à Israël, ni par rapport à l’Elysée.
Samuel Ghiles Meilhac est docteur en sociologie de l’EHESS et enseigne à l’IEP de Paris. Il signe chez Robert Laffont Le Crif, de la résistance juive à la tentation du lobby .
Tu cites un ancien président du Crif de l’époque, Théo Klein, qui dit : « Les Juifs, nous pouvons apporter un certain regard, une positivité du judaïsme sur la société. Peut-être que nous avons quelque chose à dire, pas se lamenter ni donner des directives, mais donner notre point de vue, participer à la vie de la cité ».
Oui cette idée qu’une parole juive doit compter dans la société française, reste très forte. C’est important que dans les années qui viennent il y ait des paroles qui soient maghrébines, berbères, africaines ou autres et qu’elles puissent apporter au débat.
Mais la question centrale est : le Crif est-il encore capable de porter autre chose que le discours de la mise en garde ou le discours de l’inquiétude ? Depuis 2000, le Crif, par rapport à la montée des actes antisémites en France, la 2e Intifada au Proche-Orient, s’est ancré dans un discours alarmiste… Comme si chaque année le Crif devait dire « la situation est grave » : C’est l’inquiétude qui prime.
En soutenant Israël à chaque faux pas, le Crif se tire un peu une balle dans le pied…
Y compris pour beaucoup de gens au Crif, il y a un malaise grandissant dans la défense d’Israël, qui a des limites. Vu le nombre de tentations chauvines et nationalistes en Israël, c’est difficile de défendre « le phare des nations entouré d’autocrates et d’islamistes » : Quand on écoute le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman [chef d’un parti d’extrême droite, ndlr] on n’a pas l’impression que c’est la pensée humaniste juive qui s’exprime.
Le Crif, qui est de plus en plus isolé doit-il… fermer ?
Le Crif n’est pas isolé et il reste un partenaire pour les pouvoirs publics et une bonne partie de la classe politique : les Verts comme le PC ont continué à réclamer d’être invités au dîner du Crif, lorsqu’ils n’ont pas reçu leur carton d’invitation après avoir manifesté pendant l’épisode de Gaza ou soutenu le boycott des produits israéliens.
Considérons que le rôle du Crif a été de dire, pendant la seconde guerre mondiale, qu’il y aura une défense publique des juifs après la guerre, qu’ensuite son rôle a été d’aider la France à retrouver la mémoire sur Vichy et les déportations, puis dans les années 1990 d’œuvrer pour le processus de paix… Si un jour tous ces buts-là venaient à être atteints, alors oui le Crif pourra alors simplement animer un diner de gala avec Edouard Baer en guest star.
Le Crif n’est pas riche, constate Samuel Gilles Meilhac. Jusqu’aux années 1990, « le Crif reste alors très peu organisé et ne que dispose de moyens financiers très limités », rapporte l’auteur. « A plusieurs reprises, dans des notes internes, il est question d’un Crif “démuni” et au bord de la banqueroute. Il ne peut financer que les services de deux secrétaires, d’un chargé de communication et d’un directeur ».
Arrivé en 2001 à la tête du Crif, Roger Cukierman a fait passer le budget de l’organisation de 600.000 euros à 2 millions d’euros. Ce qui le place loin derrière les organisations juives américaines ou d’autres organisations communautaires en France.
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