Pour commencer, doit-on prononcer « Les Anges s’habillent en caillera » ou les « En-ges » (sans la liaison)?
Bien joué! C’est bien ça les « en-ge » du verlan « les gens » parce que je viens de Saint-Denis. Les anciens de ma génération vont reconnaître assez facilement. Après pour les autres, c’est pas sûr.
Pourquoi ce titre?
Je me nourris beaucoup de la culture hip hop, du rap. Ce qui a fait le succès du rap c’est le sample, mon idée c’est de sampler les titres de mes livres. Mon premier s’appelait La petite cité dans la prairie et là c’est «Les Anges s’habillent en caillera» inspiré du célèbre « Le Diable s’habille en prada ». J’utilise des techniques du hip-hop dans la littérature.
Peux-tu me parler du Marseillais, ton personnage principal…bel et bien réel
Au début du livre, le Marseillais sort de prison et va chez le coiffeur. Ce jour là, c’est la première fois que je l’ai vu mais je ne me suis pas introduit dans la narration du livre. C’est un ami qui voulait lui faire un coucou et je l’ai accompagné. On s’est par la suite recroisé, il savait que je sortait mon premier livre. On a discuté, c’est quelqu’un qui est très intelligent, il a une capacité à embrouiller les gens. Il y a des choses que je ne raconte pas dans le livre, c’est vraiment quelqu’un qui a un don pour la ruse. Sa mère l’envoyait faire des courses à Carrefour, et avec les sous, il montait des embrouilles.
Rachid Santaki en 5 dates
2000: Lance le site « hip-hop.fr »
2003: Lance 5styles, un magazine gratuit sur les cultures urbaines
2006: Lauréat du prix CCIP Espoir de l’économie
2008: Parution de La petite cité dans la prairie
2011: Parution Les Anges s’habillent en caillera
Dans quelle mesure as-tu déformé le réel alors?
Le parcours du Marseillais est réel, les anecdotes, les techniques, l’histoire avec Hervé etc… Autour de lui j’ai planté un décor avec des personnages tels que Stéphane le flic ripou, Michael, les Bensama, qui eux sont fictifs.
Ils ne le sont pas complètement, puisque le livre est ponctué de coupures de presse qui décrivent des affaires similaires à celles du roman…
J’ai eu des retours concernant mon livre, on m’a dit c’est pas possible, ça existe pas des choses comme ça. C’est une fiction où je montre un 93 sale, sombre et assez violent, avec un peu d’humour également. C’est un angle qui sort de ma tête, ce n’est pas un reportage ou un documentaire. Je voulais choquer le lecteur dans le sens où il sait qu’il est dans une fiction, mais que la réalité n’est pas très loin.
Tu n’as pas peur de renforcer les peurs concernant la banlieue et le 93?
Il y a des gens qui pensent que je suis un élu, un acteur social, un ambassadeur de la banlieue. Ils me donnent un rôle, alors que je fais une simple fiction. Tout ça parce que je viens de là-bas. Cela me rappelle lorsque Eric Raoult parlait à NTM lors d’un débat télévisé chez Paul Amar. Il leur demandait s’ils reversaient une part de leur argent aux quartiers. Ça m’avait marqué. Dans sa tête, quand tu viens de banlieue, tu as un rôle particulier à jouer. On m’a reproché de faire l’apologie de la violence et du crime. Si tu regardes bien ce n’est pas le cas, si tu as un peu d’analyse, tu comprendra que le sort du Marseillais n’est pas à envier. Lorsque Michel Audiard a fait Un Prophète, il y avait un univers noir que j’ai trouvé mortel. A aucun moment les critiques ne lui disent «vous faites une fresque trop sombre». Par contre, quand tu viens de banlieue, il faut qu’on te donne un rôle.
L’histoire
Les Anges s’habillent en caillera est un roman policier inspiré de la vie du jeune Ilyès, dit « Le Marseillais », qui a fait de l’arnaque aux cartes sa profession. Il rencontre dans son chemin le non moins ingénieux Stéphane, un flic ripou qui est entré dans le jeu du trafic de drogue organisé sur Saint-Denis. Rachid Santaki décrit les aspects les plus sombres de la vie des quartiers populaires. On découvre la complexité de personnages torturés entre l’adrénaline de l’argent facile et l’appel au repos d’une vie de famille. L’ouvrage est ponctué de coupures de presse rappelant des faits divers dont se nourrit l’intrigue. Cela a pour effet de maintenir le lecteur dans la tension et la confusion d’une fiction très proche de la réalité. Les amateurs de hip hop apprécieront les multiples références culturelles disséminées tout au long du roman, du titre jusqu’aux pages de remerciements. Les Anges s’habillent en caillera est un premier essai réussi qui appelle sans doute à d’autres aventures littéraires.
Il y a quand même un esprit militant lorsque dans ta promo tu utilises le slogan « le 93 a son premier roman noir ».
Mais je n’ai pas pris seulement un point de vue policier. Mon angle et mon personnage part de la cité, puis il est confronté à la police. Alors militant, oui. Peut-être qu’en lisant le roman, tu vas comprendre un peu mieux pourquoi certains mecs agissent comme ça. Pourquoi le Marseillais agit comme ça? C’est parce que qu’il a l’impression d’exister dans la société quand il va en boîte, qu’il a de l’argent. Il prend une revanche sur sa condition sociale. Quand je l’ai écrit j’étais dans une ambiance, j’écoutais du rap, je me suis pas posé la question tu vois.
Est-ce que tu as eu des difficultés à retranscrire le langage de la cité par écrit?
Cela s’est fait assez naturellement. J’ai lu une chronique dans laquelle on disait que mon livre utilisait le langage de cité, qu’il y a beaucoup de verlan et que c’est gênant. Si on regarde bien cependant et j’y ai fait très attention vu que je l’ai réécrit 4 fois, il y a deux univers. Celui du Marseillais avec un écrit très parlé où il y a du verlan, de l’arabe etc.. Puis il y a celui des flics qui n’ont pas du tout le même langage. Si tu prends que les chapitres où il y a la police, tu vas voir la différence.
Ton écriture est un savant mélange entre le français courant et le français parlé dans les quartiers, mais en même temps, c’est comme si tu n’étais pas allé jusqu’au bout. On ne parle pas aussi bien dans les quartiers…
Tout à fait, tu as raison. Je fréquente des jeunes de 13, 14 ans et leur français est dur à comprendre. Ils ne font pas toujours des phrases et ça je ne pouvais pas faire un livre avec ça. Si j’avais retranscrit le langage tel qu’il est parlé aujourd’hui, cela aurait été hyper difficile pour le lecteur. C’est un livre qui, même s’il est destiné aux plus jeunes, ne se veut pas sectaire. Je voulais qu’on puisse comprendre leurs expressions et garder un juste milieu. Toi, tu es jeune et tu peux saisir, mais imagine quelqu’un qui a la trentaine et qui ne vient pas de cet univers… il va abandonner au bout de 5 pages. C’est aussi mon travail de romancier, ce n’est pas de la retranscription d’interview.
“Les anecdotes sont réelles”
En te lisant, on a parfois l’impression de regarder un film ou d’écouter un morceau de rap
On est tous influencés inconsciemment. J’ai écrit le livre en écoutant l’album de Mac Tyer D’où Je Viens, qui correspond complètement à cette ambiance. J’ai aussi sûrement été influencé par les séries Braquo ou Engrenage. Le récit du livre est très imagé, et je me pose la question de savoir si je réussirai à faire pareil dans mon prochain ouvrage.
Les couplets de rap de Zulu Boy sont les tiens?
Oui ce sont les miens. Le délire de Zulu Boy, c’est de faire que de la rime sous la même forme que le morceau Demain C’est Loin de IAM. Les gens qui ont été marqués par l’album de Mac Tyer, qui ont kiffé les nouvelles séries de Canal+ création originale vont s’y retrouver. Malgré l’impression un peu bizarre que l’on a au début, en fait ce sont tous ces «samples» et références qui te sont familières qui vont te tenir.
J’ai vu des scènes de ton livre jouées dans des teasers vidéo. Ton livre a déjà son adaptation cinéma?
On a joué quelques scènes du livre que l’on va balancer au fur et à mesure pour inciter les gens à vouloir découvrir le livre. C’est de la promo originale. En France, cela n’a jamais été fait. J’ai su plus tard qu’un mec l’avait fait aux Etats-Unis.
« Les gens qui ont été marqués par l’album de Mac Tyer, qui ont kiffé les nouvelles séries de Canal création originale vont s’y retrouver. »
Il n’y a donc pas de film?
Non pas encore. Un livre il a trois phases: celle du grand format, puis celle du livre de poche et enfin un film. C’est ta maison d’édition qui vend les droits puis c’est adapté. Mon travail est fait et si ça doit être adapté c’est une boîte de prod qui rachètera les droits.
Le site internet dédié à ton livre propose des épisodes bonus…en lecture…Tu nous expliques ?
Lorsqu’un album de rap arrive, ce qu’on faisait avant c’était une mixtape, un cd qui annonce la sortie. On a mis 19 épisodes en ligne, illustrés par Berthet One et que j’ai co-écrit avec Sihem Touil. Yanis Tchoutchouka est aussi intervenu dans l’écriture. C’est un blog où on raconte une histoire parallèle à celle du roman. Cela n’a jamais été fait non plus. Quand j’en ai parlé à mon éditeur, au début, il pensait que c’était un blog pour présenter le livre. Cela a bien marché parce que ça a tenu en haleine pendant une vingtaine de semaines les lecteurs.
On retrouve également de l’audio aussi…
Le truc de dingue, c’est que grâce à ça, il y a une communauté de déficients visuels qui ont suivi la série. Ils étaient très contents. Autrement je n’aurais peut-être pas continué parce que au final j’ai vu que les gens préféraient lire et n’écoutaient pas l’audio. Quand j’ai eu le retour des déficients visuels j’étais obligé de continuer. En fait d’habitude ils utilisent un logiciel qui digitalise le texte et c’est lu par un robot. Pour eux c’était plus chaleureux d’avoir une voix humaine. C’était une expérience assez marrante et donc du coup je vais aller à leur rencontre parce que je suis curieux et j’ai envie d’échanger avec eux.
Tu parles beaucoup de hip hop, pourtant dans le livre, il est seulement évoqué par le personnage de Yazid, considéré comme un vieux fou. Est-ce que c’est l’allégorie de l’esprit hip-hop aujourd’hui dans les quartiers?
Yazid, c’est un mec qui n’a pas passé la barre des années 90. Maintenant, l’image du hip-hop dans les quartiers populaire, c’est pas ça. On n’a pas l’impression que c’est un truc de vieux fou, mais tu as des gens qui sont comme ça et tu en trouves partout. C’était un clin d’oeil à ce genre de personnage qui dans n’importe quel domaine reste bloqué et devient aigri.
C’est comme le type qui porte toujours des maillots de Saint-Etienne ou qui garde ses vinyles de Claude François?
Exactement! (rires) Lui c’est un mec son cd est rayé depuis Le monde de demain .Dans ton livre, j’ai lu les pages de remerciements les plus longues que j’ai jamais vues. Cela m’a rappelé le rap, où lors de passages radio, tu as un artiste qui va faire des dédicaces pendant 10mn !
Mon éditeur aussi a rigolé car il n’avait jamais vu ça. Mon père bossait dans une manufacture et me ramenait beaucoup de bouquins. Etant jeune, j’avais le réflexe d’essayer d’en savoir plus sur l’auteur, par le biais de la photo, de la couv, des remerciements. Je trouve que c’est super sympa les remerciements et ça fait plaisir aux gens !
Le Syndikat:
Le Syndikat est une structure mise en place par Rachid Santaki et qui a pour but de promouvoir les jeunes talents. Si toi aussi tu veux raconter la vie de quartier comme personne ne l’a jamais fait, le Syndikat peut t’aider. Prochainement sur leur site, tu pourra proposer un texte de 2.000 à 3.000 caractères. Le thème imposé est « Je débarque à Saint-Denis » pour faire écho au roman Les Anges s’habillent en caillera. Les meilleurs essais seront publiés sur un livre numérique et peut-être physique titré « Les Chroniques du Syndikat ». Le Syndikat espère ainsi encadrer une équipe de jeunes talents pour leur permettre d’écrire leurs propres romans.
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