En ce moment

    25/01/2011

    Pour l'historien, Sarkozy devrait rappeler « les droits des croyants dans l'entreprise » plutôt que d'instrumentaliser la laïcité

    Patrick Weil: « La majorité des musulmans de France apprécie plus la laïcité que le président de la République »

    Par Robin D'Angelo

    Malgré le succès médiatique de Marine Le Pen et la politique « d'extrémisation » de Nicolas Sarkozy, l'historien Patrick Weil est « optimiste ». Les Français « connaissent bien leur laïcité » et « demanderont des comptes aux dirigeants ».

    Il y avait 1.000 personnes aux assises contre l’islamisation, c’est quand même beaucoup non ?

    Ça dépend de quel point de vue on se place. C’est peu étant donné le battage qui a été fait par le président de la République et le gouvernement sur la burqa et l’identité nationale. 1.000 personnes, non, ce n’est pas très important.

    Il y avait pourtant un éventail très large qui changeait des réunions habituelles de l’extrême-droite

    C’est le reflet d’une inquiétude devant des phénomènes dont les pouvoirs publics ont volontairement exagéré la portée. Il y a une installation de l’Islam en France. Un jour les gouvernants français diront, comme Angela Merkel et le président allemand ont dit « l’Islam fait partie de l’Allemagne », l’Islam fait partie de la France. Napoléon III l’avait déjà dit puisqu’à son époque l’Algérie était la  France, donc l’Islam fait depuis très longtemps partie de la France. Mais aucun gouvernement n’arrive à dire aujourd’hui cette phrase qui est le constat d’un fait banal. En jouant sur la peur d’une réalité qui n’est pas effrayante, puisque la majorité des musulmans veut vivre paisiblement dans le respect de la loi, les gouvernants ont décidé de cibler une population minoritaire.

    Évidement par définition, les minorités étant minoritaires, on peut essayer de gagner une élection contre les minorités. Il y a une volonté de ce gouvernement de changer l’agenda, de faire en sorte qu’on le polarise contre les minorités plutôt que de laisser l’opinion s’intéresser à la minorité des Français les plus riches qui ont été cajolés depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence. Que sous l’effet d’un battage qui a été orchestré au départ par le Président et le gouvernement, il y ait 1.000 personnes qui se réunissent, moi je ne trouve pas cela extraordinaire.

    Patrick Weil, la life :

    Patrick Weil (Patrick Weil est cofondateur de StreetPress) est historien, directeur de recherche au CNRS et professeur associé à l’université de Yale (US).

    1982 A 24 ans, nommé chef de cabinet du secrétaire d’Etat à l’immigration

    1991 Parution de La France et ses étrangers (Grasset)

    1997 Rapport à Lionel Jospin sur les législations de la nationalité et de l’immigration, qui inspirera la loi Chevènement-Jospin.

    2002 Parution de Qu’est ce qu’un Français (Grasset)

    2003 Est un des 20 sages de la Commission Stasi sur la laïcité

    2007 Démissionne de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour protester contre la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale

    2011 Signe Etre français, les quatre piliers de la nationalité, aux éditions de l’Aube

    Dans ton dernier livre, tu fais de la laïcité un des 4 piliers de la République. Y a-t-il une opposition entre la laïcité que défend la droite et la laïcité telle que tu l’entends ?

    Quand le président de la République va s’excuser auprès du Pape dans son premier voyage au Vatican pour la loi de 1905 qui est au fondement de notre laïcité, quand Nicolas Sarkozy ajoute qu’un prêtre a plus de valeur qu’un instituteur, alors il montre qu’il ne connaît pas ou qu’il n’aime pas la laïcité française. Exiger qu’ensuite d’autres adhèrent à des choses qu’il n’est même pas capable de définir et d’apprécier ça pose un problème. Pourtant, notre laïcité est très attractive: elle respecte autant les croyants que les non-croyants, ce qui est très rare dans le monde. Elle implique des règles qu’il faut faire respecter. La laïcité cela veut dire aussi que l’on n’a pas le droit de se marier religieusement sans être passé d’abord à la mairie et a fortiori sans y passer du tout. Lorsque le voile et l’ensemble des signes religieux ostensibles sont interdits dans les écoles publiques, cela veut dire qu’il est autorisé dans les écoles privées, à l’université, dans les entreprises, tout en restant interdit dans l’espace de l’État, par exemple pour tous les fonctionnaires. Entend-on les pouvoirs publics expliquer ces règles, simplement, sans dramatisation ? Pas du tout. Je pense du coup qu’aujourd’hui la majorité des musulmans de France – qui parfois ont du apprendre que le mot et les règles de la laïcité qu’ils avaient appliquées en Algérie quand elle était française, n’étaient plus les mêmes en France de métropole – ne s’en sortent pas trop mal. A mon avis, ils connaissent et apprécient plus la laïcité que le Président de la République.

    Quand la droite et l’extrême droite utilisent la laïcité pour stigmatiser l’Islam, ils ne s’en sortent pas trop mal, non ?

    C’est une impression. Mais les Français sans être férus de droit connaissent bien leur laïcité. Ils n’aiment pas la burqa et la prière dans la rue. Mais ils sont d’accord pour que les musulmans fassent le Ramadan, pour que les tombes soient orientées vers la Mecque dans les cimetières et qu’ils aient aussi des lieux de culte pour lesquels il y a de moins en moins de problèmes. Et si demain la France est condamnée devant la Cour européenne des droits de l’homme pour la loi sur la burqa – ce qui serait une victoire des plus radicaux – ou bien s’ils constatent qu’après avoir obtenu un lieu de culte, les musulmans du 18e arrondissement de Paris ont déserté la rue Myrha, ils demanderont des comptes aux dirigeants politiques qui les auront trompés.

    « Les minorités étant minoritaires, on peut essayer de gagner une élection contre les minorités »

    « L’intégration des musulmans se produit indépendamment de l’action des pouvoirs publics »

    Pour la nourriture Hallal, ça à l’air moins évident

    Qu’il y ait de la nourriture hallal dans les supermarchés, où est le problème ? 

    On a l’impression que pour la droite – on va dire la droite populaire – la laïcité c’est qu’il n’y ait pas de commerces hallal dans les rues, ni de kebabs

    Une partie de la droite instrumentalise les musulmans contre la gauche, comme une partie de la droite avait instrumentalisé les Juifs contre la République entre 1875 et 1940. Comme à cette époque, il s’agit d’essayer de détruire les valeurs républicaines à travers la prise en otage d’une minorité. Le problème est autant la gauche que la droite, puisque la gauche n’a pas l’air de savoir très bien non plus ce qu’elle veut. Elle a du mal aussi à définir la laïcité, à la défendre, savoir comment l’adapter au nouveau paysage religieux, quelles sont ses limites.

    Justement tu vois un vrai affrontement idéologique entre la gauche et la droite sur la laïcité ? Tout comme sur les autres piliers de la République dont tu parles: la langue française, la filiation à la Révolution, l’égalité devant la loi ?

    La droite républicaine adhère à ces piliers : la langue française, la mémoire positive de la Révolution, dans laquelle se retrouvaient Bonaparte, Louis Philippe et Charles de Gaulle ou le principe d’égalité devant la loi. On ne peut pas être contre ces piliers faute de se retrouver extrêmement minoritaire. Mais justement pour la droite le problème c’est que Nicolas Sarkozy est mal à l’aise avec ces piliers. C’est ce que j’essaie de montrer dans ce livre : On a un président de la République qui est en décalage par rapport à ces piliers. C’est ce qui explique d’ailleurs en partie son impopularité. Il est impopulaire par sa posture même à l’égard des grandes valeurs de la République française dans lesquelles il semble ne pas se reconnaître.

    07
    « On n’explique pas aux entreprises quels sont les droits des croyants dans l’entreprise »

    Tu ne crois pas à la réélection de Sarkozy ?

    S’il était réélu ce serait à cause des faiblesses de la gauche plutôt que grâce à sa stratégie. Il invoque depuis peu la laïcité. Avant il l’attaquait, faut quand même le rappeler ! Il disait: « J’en ai marre de la laïcité, je voudrais le modèle américain. » Maintenant il martèle : « Derrière la laïcité il y a ça, il y a ça, il y a ça ». Il n’est pas très crédible. Je le répète, il faut une politique de la laïcité : on n’explique pas aux entreprises par exemple quels sont les droits des croyants dans l’entreprise. On n’explique pas aux Français qu’il y a différents espaces. Que dans la rue, les mêmes règles ne s’appliquent pas que dans un bâtiment public ou privé. C’est une chose de dire qu’on n’aime pas la burqa – moi je ne l’aime pas – c’est une chose de dire qu’on va empêcher une femme qui la porte d’aller prendre son enfant à l’école, ou d’entrer dans un bâtiment public sans se découvrir. Mais lui interdire de sortir dans la rue pour aller s’acheter à manger, pour aller voir un médecin, c’est pas un peu exagéré ? D’ailleurs, le Conseil Constitutionnel en disant que le port de la burqa était autorisé dans les lieux de cultes a bien signifié que ce n’était pas la même chose qu’un interdit social, fondamental et général, comme la pratique de l’inceste ou le fait de se promener nu.

    Mais, au final, je suis plutôt optimiste. Car en réalité dans la société, sur le terrain, les choses évoluent positivement. L’intégration des Musulmans se produit indépendamment de l’action des pouvoirs publics. Ils ont des jobs dans des entreprises, de plus en plus de diplômes. C’est pas facile pour eux. C’est pas toujours facile d’en prendre plein la tête tous les jours : la burqa, le voile etc. Certains partent à l’étranger, ils en ont ras-le-bol, et pas qu’eux d’ailleurs. Mais pour la majorité qui reste, il y a une solidarité qui se produit dans la société et qui s’est manifestée quand Sarkozy a tenté une politique d’extrémisation avec son discours de Grenoble cet été. Ça n’a pas marché.

    Dans la manifestation contre les assises anti-islamisation, les seuls mobilisés étaient des islamistes. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de radicalisation ?

    Mais non ! L’intégration n’est pas gelée parce qu’il y a 1.000 manifestants d’un côté et quelques centaines de l’autre… Il y a dans notre pays quelques millions de musulmans et au total 65 millions de Français.

    Ce n’est pas l’abandon de la laïcité par la gauche qui fait que personne n’ait manifesté contre des événements de ce genre ?

    Aller manifester, contre c’est aussi donner de l’importance. On ne va pas manifester contre quelqu’un à qui on ne reconnaît pas de représentativité. Manifester contre Sarkozy, le président de la République, c’est normal. Mais aller manifester contre un groupuscule, ça aurait été leur donner une importance qu’ils n’ont pas.

    Ce qu’on sent c’est que la gauche est très absente sur la laïcité

    Mais la gauche n’est pas absente que là-dessus.

    « On a un président de la République qui est en décalage par rapport aux piliers [de la République] »

    « Sarkozy montre qu’il ne connait pas ou qu’il n’aime pas la laïcité française »


    “Être français, les quatre piliers de la nationalité”:http://www.amazon.fr/Etre-fran%C3%A7ais-quatre-piliers-nationalit%C3%A9/dp/2815901978/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1295983098&sr=1-3, par Patrick Weil, en librairie depuis le 21 janvier aux éditions de l’Aube

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER