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    25/07/2016

    Ils étaient 668 en 2012, 2274 en 2014, et depuis leur nombre a encore grimpé

    Le boom des assignations à résidence de sans-papiers

    Par Tomas Statius , Guiduch

    Dans l’attente d’un retour forcé au pays, de nombreuses familles sont assignées à résidence. StreetPress est allé à la rencontre de Naria, Hassan, obligés de pointer chaque jour au comico et Francisco qui lui a préféré entrer dans la clandestinité.

    Commissariat centrale de Besançon (25) – Dans une petite salle d’attente impersonnelle, Hassan se tourne les pouces. Au bout de quelques minutes, une standardiste lui indique de s’approcher : c’est à son tour de signer sa fiche de présence. Comme une dizaine d’autres sans-papiers de Besançon, cet immigré albanais a été assigné à résidence par la préfecture du Doubs. Tous les matins, il doit pointer avant 8h30, sous peine de se faire taper sur les doigts par les autorités :

    « Il y a des français qui viennent signer. Ils sortent de prison, eux c’est normal qu’ils signent. Nous c’est pas normal. »

    En deux minutes, l’affaire est dans le sac. Devant le bâtiment blanc, le petit homme qui arbore coupe mulet et baskets flashy, sort d’une petite boite en métal une cigarette déjà roulée qu’il porte à ses lèvres. Pour être à l’heure ce matin, le trentenaire et sa femme ont du s’organiser. Le bus depuis l’hôtel de banlieue où ils dorment en ce moment. Puis, un crochet par les locaux d’une association d’aide aux réfugiés à deux pas de la gare de Besançon :

    « On a déposé nos enfants là-bas, explique Madame. Ils ne veulent pas qu’on les laisse mais c’est mieux comme ça. »

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    Tout les matins, il doit pointer au comico. / Crédits : Guillaume Duchemin

    Malgré son sourire et ses petites bouclettes qui volent au vent, Hassan a le visage grave. L’homme aux faux airs du Dude dans The Big Lebowski sait que son assignation à résidence ne présage rien de bon. Lui, sa femme et ses deux enfants ont fui l’Albanie il y a 4 ans. Dans quelques semaines, ils pourraient bien y être renvoyés.

    Fin de parcours pour Hassan

    Le 16 juin, le lendemain de la rencontre France-Albanie, Hassan apprend son assignation à résidence. La mauvaise nouvelle prend la forme d’une petite enveloppe cachetée qui attend le jeune père de famille dans le centre d’hébergement d’urgence où il vivait à l’époque. Dans la foulée, Hassan et toute sa famille sont convoqués au commissariat. Ils sont obligés de remettre leurs passeports aux autorités. Depuis, la petite troupe vit dans l’attente nerveuse d’un aller simple pour Tirana. Ils n’obtiendront jamais l’asile politique en France. « Nous tout ce qu’on veut c’est de la sécurité, ici on nous enferme comme des animaux », s’énerve l’homme aux yeux azurs.

    Posé dans les locaux de l’asso’ qui suit son dossier, au 8e étage d’une petite cité décrépie dans le nord de Besançon, il expose les raisons de son départ :

    « Mon cousin a menacé mon fils de mort pour une histoire de terrain. Quand je suis allé le voir, il a commencé à me frapper avec une barre de fer. J’ai dû aller à l’hôpital. »

    Avec son cousin, la situation s’envenime. Hassan s’est même fait tirer dessus. De cette altercation, il garde une petite cicatrice mauve en bas de son mollet. A la veille de Noël 2012, il abandonne son boulot dans le bâtiment, sa ferme et ses chèvres. Il prend place à l’arrière d’un camtar avec sa femme et ses deux gamins. Une vingtaine d’heures plus tard, les voilà à Besançon :

    « Le camion nous déposé devant la gare en pleine nuit. Il faisait très froid. »

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    Welcome to Besac' ! / Crédits : Guillaume Duchemin

    2274 assignés en 2014

    Pendant plusieurs semaines, StreetPress a enquêté sur une situation que bien peu connaissent. Dans toute la France, plusieurs milliers de sans-papiers sont assignés à résidence dans l’attente de leur expulsion. La mesure est tout ce qu’il y a de plus classique rappelle Maitre Chabbert-Masson, avocate spécialisée dans la question des réfugiés. Elle est prévue par le CESEDA, le code d’entrée et de séjours des demandeurs d’asile :

    « C’est une mesure que l’Etat prend en général pour des gens qui ont des garanties de représentation et un domicile. »

    Les sans-papiers, dont l’expulsion a été actée par une obligation de quitter le territoire français, évitent ainsi le centre de rétention et attendent la venue des bleus chez eux. En ce moment, l’avocate installée à Nîmes suit une famille albanaise hébergée dans les Cévennes :

    « La préfecture a assigné le papa jusqu’à la fin de l’année scolaire, car sa fille allait à l’école ici. En Albanie, il était policier. Il a été menacé par la mafia locale. »

    Selon une information communiquée pour la première fois par le ministère de l’intérieur à StreetPress, 2274 sans-papiers ont été assignés à résidence en 2014. C’est presque deux fois plus qu’en 2013 (1258) et quatre fois plus qu’en 2012 (668). Depuis, leur nombre est en constante augmentation selon les associations de soutiens aux réfugiés, sans pour autant avoir de données précises. « Il y a un problème de visibilité des personnes assignées à résidence » précise Davi Rohi, porte-parole à la Cimade :

    « Avec nos permanences en région, on est au courant que d’une infime partie du phénomène. »

    Et la situation n’est pas prête de s’arranger. En effet, la loi du 7 mars 2016 sur le droit des étrangers fait de l’assignation à résidence « la règle et du placement en rétention l’exception » précise le ministère. Selon David Rohi, cette loi permet de cumuler les deux mesures :

    « Désormais, le préfet pourra décider d’assigner à résidence des gens qui sortent de rétention et vice versa. C’est une loi qui permet de mettre les gens sous contrôle pour plus longtemps et d’expulser davantage. »

    Et si la Place Beauvau promet que la généralisation de l’assignation à résidence n’ira pas sans « un décret prévu au plus tard pour novembre, qui organisera l’information et l’accompagnement juridique des assignés à résidence », le porte-parole de la Cimade a des doutes sur les intentions du Ministère :

    « Un amendement avait été proposé pour organiser le suivi juridique systématique des assignés à résidence. Il n’a pas été retenu. »

    Micmac à Besac’

    Pour raconter l’histoire des assignés à résidence, StreetPress a pris le train pour Besançon. Pourquoi ? « Les assignations à résidence, c’est une spécialité du coin », confie Eric Alauzet, député Europe Ecologie les Verts. Dans l’ambiance feutrée de son cabinet d’acupuncture, l’homme à la petite chemisette nous fait un topo sur la situation à Besac’ :

    « On a beaucoup plus de familles qu’ailleurs : des Arméniens, des Géorgiens, des Albanais et des Kosovars. Pour les familles, la préfecture fait le choix de l’assignation plutôt que de la rétention. »

    Pour les assos, cette concentration d’assignés à résidence est surtout la preuve de l’intransigeance de la préf’. Un constat qu’Eric Alauzet confirme à demi-mot. Hormis les réfugiés en provenance de pays en guerre, « la préfecture ne fait plus la différence entre les bons et les mauvais dossiers. Il n’y a plus de bienveillance. »

    À Besançon, faute d’avoir un appart’, les assignés à résidence peuplent les centres d’hébergement d’urgence et les hôtels sociaux.

    La vie sous surveillance

    L’assignation à résidence de Naria remonte à il y a 2 ans. A l’époque, comme d’autres assignés, la jeune géorgienne logeait à Saint-Jacques un centre d’hébergement d’urgence situé plein cœur de la ville. Elle se souvient de l’atmosphère étouffante qui régnait dans les lieux. Plusieurs soirs par semaine, des fonctionnaires débarquent et emmènent des familles entières, direction l’aéroport :

    « Mon fils, il s’en souviendra toute sa vie. Il ne peut pas oublier ce qui s’est passé là-bas. »

    Au commissariat, les bleus jouent carte sur table avec la petite brune à la voix perçante :

    « Ils nous disaient qu’il fallait qu’on rentre dans notre pays, qu’on avait pas le choix. Notre fils savait qu’on allait à la police avec mon mari tous les matins. Un jour il nous a dit : j’espère que vous viendrez me chercher à l’école. »

    Pour Mirietta et Ramadan, l’assignation à résidence vient de commencer. Depuis le 16 juin, le couple est obligé de pointer tous les matins au commissariat, avec leur fille âgée de quelques mois. « Quand on va au commissariat, les policiers nous disent qu’ils vont bientôt venir nous chercher », confie Mirietta. Le couple a quitté l’Albanie il y a 2 ans. Pour eux impossible de rentrer au pays. « Là-bas, je suis au milieu d’une vendetta » explique Ramadan, grand costaud au crâne rasé. On n’en saura pas plus.

    Le purgatoire de l’assignation à résidence

    Posé sur un banc, face à la MJC où elle dépose son fils tous les matins, Naria se souvient de ses journées d’assignée à résidence. Face à elle, son mari, cheveux grisonnants et visage fin, écoute sans lâcher un mot. Tous les deux ont fui la Georgie pour raison politique. Monsieur, dissident et ancien de l’armée géorgienne, est parti en France il y a 3 ans. Madame l’a suivi un an plus tard. « Au pays, les policiers me menaçaient. J’ai contacté des gens qui m’ont aidé à partir. » Leur assignation à résidence est intervenue alors qu’il venait d’obtenir une place en hébergement d’urgence :

    « C’était très difficile. Tous les matins à 8h, le centre fermait. On devait partir et ne revenir que le soir à partir de 21h. »

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    Toute la journée, la famille erre d’hébergement de jour bondé, en hébergement de jour bondé. Au bout de quelques mois, leur fils finit par être scolarisé. Pas de boulot, pas d’argent, et pas grand-chose à faire : Naria et son mari ont alors l’impression d’être hors du monde. Aujourd’hui, la jeune femme vit chez l’habitant et a même trouvé un employeur potentiel. « Mais je n’ai pas de papier, je ne peux pas travailler. Moi j’ai envie de faire des choses », s’impatiente-t-elle.

    Hassan a les mêmes souvenirs. Les journées passées à errer et la constante impression d’être coincé. Le 16 juin, le jour de son assignation à résidence, l’homme à la barbiche fournie est viré sans ménagement du centre d’hébergement d’urgence dans lequel il était logé. Le motif ? Son fils, parti regardé le match France – Albanie avec un pote, est rentré après le couvre-feu de 21 heures :

    « Quand je suis rentré le soir, on m’a dit que j’avais une demi-heure pour partir. »

    Depuis, Hassan vit dans un Formule 1, en banlieue de Besançon. La chambre est payée par un comité de soutien aux sans-papiers, mais pas pour longtemps.

    Aux restos du cœur

    A deux pas du CHU de Besançon, une vingtaine de bénévoles des Restos du Cœur sont dans les starting-blocks. Les étagères de cette antenne installée au milieu d’une zone industrielle sont bien garnies : cassoulet, paquet de pattes ou boites de thon. A 13h00, les premiers bénéficiaires arrivent. « Ici, il y a une majorité de sans-papiers qui viennent chercher à manger. Comme je travaille ici, tout le monde pense que j’ai des papiers ! » ironise Francisco. Dans la cohue, le petit mec bien bâti check les hommes et tape la bise aux femmes. Depuis le début de l’année, il est bénévole pour l’association fondée par Coluche. « Ici je ne pense à rien, c’est bien » lâche-t-il entre deux accolades.

    Malgré son air débonnaire, la situation de Francisco a tout du cauchemar. Débouté de l’asile, il a été assigné à résidence pendant 3 mois. Au bout de cette période transitoire, l’OFII lui annonce qu’il est temps de préparer son retour au pays. Par peur d’être arrêté du jour au lendemain, l’homme est entré dans la clandestinité. Tous les deux / trois jours, il passe son répertoire en revue à la recherche de quelqu’un qui voudrait bien l’héberger. « Cela arrive souvent que des réfugiés disparaissent à la fin de l’assignation à résidence. Certains partent en Allemagne ou en Italie, » détaille Annette de la Cimade, une ONG qui vient en aide aux sans-papiers.

    Francisco a fui l’Angola

    Francisco est arrivé en France en mai 2013. Le récit de son départ est à couper le souffle. Dans un petit bureau de la Cimade, l’homme en sweat gris, pantalon kaki et petite baskets à la mode, raconte son parcours depuis le début :

    « En Angola, ma femme était élève-infirmière. Lors de ses études, on l’a envoyé dans une clinique à Luanda. Un jour, le fils d’un général de l’armée angolaise est arrivé dans son service. Il était malade. C’est elle qui s’en est occupé. »

    Manque de pot pour Francisco et sa femme, le fils du gradé meurt et rapidement la police vient demander des comptes à la famille. Le soir même, la maréchaussée toque à la porte du jeune mec. Il ouvre. « Où es ta femme ? » interroge un policier en uniforme. Pas de réponse. « Elle était à l’église avec notre fils mais ça je ne l’ai pas dit » ajoute Francisco. Rapidement les fonctionnaires voient rouges et le rouent de coups. Il est finalement emmené au poste de police où il subira plusieurs interrogatoires musclés.

    Francisco passera 8 mois dans une geôle crasseuse, entre son matelas, sa bassine et les barreaux de sa petite fenêtre. Un jour, alors qu’il passe le balai dans la cour de la prison, le jeune homme se fait la malle :

    « J’ai grimpé au-dessus des poubelles et j’ai réussi à sortir. Les policiers me tiraient dessus. Dans la rue, les gens criaient parce qu’ils avaient peur. »

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    Fransisco se carapate de zonz'! / Crédits : Guillaume Duchemin

    Francisco se réfugie quelques heures chez son frère avant de poursuivre sa route. Deux jours plus tard, il apprend que les flics l’ont tué :

    « Je me suis dis qu’il fallait que je parte d’ici »

    Un pote de son frangin lui file un faux passeport, un aller simple pour Paname et 100 $ en liquide. « Avant de monter dans l’avion, il me dit que ma femme est partie là-bas. »

    Francisco garde espoir

    Arrivé en France, Francisco bourlingue de Paris à Roanne, en passant par Saint-Etienne. « A Saint-Etienne, j’étais hébergé dans une Eglise. Il n’y avait que des africains. On dormait dans un bâtiment à côté ». Sur place, il prend contact avec les associations de soutiens aux sans-papiers, à la recherche de sa famille. Alors qu’il vit en Auvergne, le jeune mec reçoit un coup de fil. « C’était une association de sans-papiers. Ils avaient retrouvé ma femme. » Au téléphone, il reconnaît sa voix. Elle et son fils sont en vie. Des grosses larmes coulent sur ses joues quand il raconte cet épisode. Pendant plusieurs semaines, il a bien cru qu’ils les avaient perdus pour toujours.

    « On prépare un dossier pour un réexamen [de sa demande d’asile] » interrompt Annette alors que Francisco finit de rembobiner son long périple :

    « [En Angola] On a trouvé des documents qui permettent de prouver qu’il est en danger là-bas. Des articles de journaux qui parlent de lui mais aussi l’acte de décès de son frère. »

    Pour l’heure, la boss de la Cimade cherche un moyen de les rapatrier en sécurité. « On voulait les envoyer par DHL mais c’est risqué. Là-bas, les policiers ouvrent tous les colis. »

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