Devant la Bourse du travail, les places sont chères pour assister à la conférence « Nuit Debout, l’étape d’après ? » « Désolé, je crois que vous n’allez pas pouvoir rentrer », lance un des portiers, ce qui n’empêche pas une petite dame de se faufiler sous son bras.
Nuit Debout fait salle comble! / Crédits : Denis Meyer
Mercredi soir à 19 heures, 500 chanceux, dont StreetPress, ont pu entrer dans la salle Ambroise Croizat, alors que des dizaines se font recaler à la porte. Les attentes sont fortes chez les occupants de la place de la République : ils sont invités à l’appel du journal Fakir et de son rédacteur en chef François Ruffin à réfléchir à la suite du mouvement.
Lordon, Halimi et Almamy Kanouté en vedettes
A la tribune, plusieurs figures de Nuit Debout partagent leurs idées pour donner un nouveau souffle à la mobilisation. Parmi les premiers orateurs, Serge Halimi, le boss du Monde Diplomatique. Entre une référence au sociologue Alain Garnau et à l’essayiste Thomas Frank, il explique doctement que les deboutistes doivent se réunir autour de revendications fédératrices, comme la lutte contre le Tafta.
Puis c’est Almamy Kanoute qui lui succède. Carrure de rugbyman et veste à carreaux rouges, il propose aux occupants parisiens de le rejoindre dans sa ville de Fresnes pour une action le 24 avril. « Si on réussit à faire la fusion entre Paris et la banlieue : les cols blancs vont trembler ! », clame le militant, connu pour ses engagements tous azimuts de l’autre côté du périph’.
Almamy Kanouté veut unir Parisiens et Banlieusards / Crédits : Denis Meyer
Mais la superstar du soir, c’est Fréderic Lordon, l’économiste devenu l’un des visages de la contestation. Au micro, il tonne contre la « chefferie médiatique » et « la secte malfaisante de l’oligarchie libérale ». Surtout, il dénonce « l’animation citoyenne all inclusive » de la place de la République où « l’on accueille n’importe qui au nom de la démocratie » :
« On oublie la raison première du mouvement : faire tomber la loi El-Khomri (…) Nous sommes ici pour faire de la politique. Nous ne sommes pas amis avec tout le monde et nous n’apportons pas la paix. »
Ruffin et Fakir aux manettes
A l’origine de cette conférence, les équipes du journal Fakir et la compagnie de théâtre Jolie Môme. En introduction, François Ruffin, réalisateur du docu Merci Patron ! et rédacteur en chef du bimestriel, a rappelé leur part de paternité du mouvement. Car Nuit Debout est née un 23 février, en marge d’une conférence organisée par l’équipe du docu à succès avec pour mot d’ordre « Leur faire peur ». L’occupation de la place de République se précise quelques semaines plus tard quand le même noyau militant se retrouve, à nouveau à la Bourse du travail, pour préparer la logistique.
La team de Fakir est dans la place. / Crédits : Denis Meyer
Aujourd’hui, François Ruffin fait part ses inquiétudes :
« Le mouvement devient stagnant. On se regarde le nombril et on se concentre sur le fonctionnement interne. »
Vêtu d’un T-shirt « I love Bernard Arnault », il appelle à faire « un gros coup » le 1er mai, en opérant une jonction entre Nuit Debout et les syndicats. Sur l’estrade, plusieurs responsables de Sud ou de la CGT ont déjà répondu à son appel.« Il n’y a que comme ça qu’on pourra faire la gréve générale », estime l’un d’entre eux.
Trolls à bâbord !
Mais dans la salle, les esprits s’échauffent. Benjamin Ball, membre du Média Center de Nuit Debout, prend la parole. Il dénonce le mépris des orateurs du jour qui ont qualifié de « manche à air » les assemblées citoyennes de la place de la République. « Ce sont ces manches à air qui ont fait le succès de la mobilisation espagnole ! », s’emporte-t-il. Puis c’est sa voisine qui dénonce la récupération de Nuit Debout par le Front de Gauche. Là encore, François Ruffin et ses soutiens sont pointés du doigt. Ils sont accusés d’entraver « la conquête de la souveraineté populaire » en jouant la carte des syndicats.
Benjamin Ball au mic / Crédits : Denis Meyer
Au micro, François Ruffin tente de reprendre le contrôle dans le brouhaha :
« Il faut que l’on se reconcentre et que l’on réponde à la question : que fait-on dans les semaines à venir ? »
Mais il est déjà trop tard. Chacun y va de sa petite suggestion. Un militant propose de saboter les distributeurs de billets de banque. Une Bretonne vient lire un tract qu’elle a écrit pour Nuit Debout. Un homme appelle à la grève reconductible jusqu’à ce que l’on impose la semaine des 32 heures. Ruffin trépigne, se prend le visage entre les mains, se mord les lèvres. Après une heure de débat stérile, une modératrice prend la parole :
« Je propose que l’on arrête ce massacre. »
Avant de quitter la salle, François Ruffin demande une dernière faveur aux 500 participants. Poing levé, il leur fait répéter : « Je ne voterai plus jamais pour le PS ». Ils s’exécutent. Mais la pirouette sonne comme un lot de consolation pour celui qui voulait donner un second souffle à Nuit Debout.
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