Le Bataclan, Paris 11e – Trois jours après les attentats de Paris et Saint-Denis, des dizaines de personnes se recueillent. Au milieu de la foule, une délégation attire le flot de caméras qui campent là toute la journée. Une poignée d’imams et de rabbins, main dans la main. Au premier rang de ce groupe détonnant, l’imam Abdelali Mamoun entame une Marseillaise, suivi timidement. Kuffi blanc sur la tête, il n’hésite pas à donner de la voix malgré l’ambiance plombante. Et il conclut, poing levé, sous les applaudissements :
« Allah Akbar ! Vive la France ! Vive la République ! »
Vidéo – Allons enfants de la Patrie!
Grâce à ce cocktail d’Islam et de patriotisme, Abdelali Mamoun est devenu le chouchou des médias. Il enchaîne les plateaux télé : au Grand Journal face à Ménard, dans l’émission des Paroles et des Actes, sur le plateau de BFM opposé à Guéant… La liste est longue.
Pourtant, il suffit de se pencher sur son parcours pour que le vernis s’écaille. L’imam sans mosquée fixe ne fait pas l’unanimité chez les fidèles. En 15 piges, il multiplie les CDD non reconduits, en poste successivement dans une dizaine de mosquées. Dans sa lutte solitaire contre l’islam consulaire, l’imam navigue à contre-courant.
L’imam médiatique
C’est dans un café de la Villette que StreetPress retrouve la star du petit écran. Engoncé dans sa veste noire, la main dans la poche, l’autre sur la table, il demande :
« C’est vous l’ami de Ruth Elkrief ? Ah non ? Ça doit être mon rendez-vous de jeudi alors. »
Son erreur le fait sourire. Toutes les personnes contactées par StreetPress dressent de lui le même portrait : « bon orateur », « tchatcheur », « vulgarisateur », « bon client pour les médias ». Voilà pour le côté pile. Côté face, on le décrit « sautillant », « envieux d’un bon poste », « agité »… En off, certains lui reprochent d’aimer un peu trop se regarder à l’écran.
« Je ne voulais pas laisser le terrain libre à des gens qui disent n’importe quoi. » / Crédits : Vassili Feodoroff
Mamoun est un habitué du micro. Depuis 2008, il participe à l’émission « l’Islam au présent » chaque semaine sur la radio Beur FM. Il débat, répond à des questions d’auditeurs et donne même des conseils à des couples. Et il n’est pas peu fier d’y participer :
« Pendant le ramadan, il arrive qu’un million d’auditeurs écoutent mon émission. C’est plus que toutes les autres radios sur la même tranche. »
Mais c’est depuis les attentats de janvier 2015 qu’il a vraiment son rond de serviette sur les plateaux des grandes chaînes. D’après lui, il fallait combler un vide :
« Au Royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Je ne voulais pas laisser le terrain libre à des gens qui disent n’importe quoi. »
Grâce à son show sur Beur FM et ses « 25 années d’imamat », Mamoun assure être très populaire. « J’ai le soutien de la masse musulmane », renchérit-il.
Imam itinérant
« Quand il va sur les plateaux, il dit n’importe quoi », tacle pourtant sèchement Khalil Merroun, recteur de la grande mosquée d’Évry Courcouronnes, la plus grande de France :
« Il veut se faire plus imam que l’imam. Il devrait plutôt s’habiller du costume de l’humilité. »
Le recteur n’est pas le seul à avoir une dent contre Mamoun. Le 10 janvier dernier, la mosquée d’Alfortville publiait sur sa page Facebook un message plutôt cocasse :
« Par respect pour nos deux imams, nous rappelons ENCORE UNE FOIS que Mr. Mamoun N’EST PAS IMAM DE LA MOSQUÉE D’ALFORTVILLE et ne représente pas ses idées, ni les musulmans de cette ville. »
En photo, Mamoun sur le plateau de BFM TV, sous-titré « imam d’Alfortville ». Ce n’est pas une première : un an plus tôt, cette mosquée s’était déjà fendue d’un message similaire, précisant que l’imam n’officiait plus depuis « décembre 2013 ».
En guise de réponse, Abdelali Mamoun poste une copie du message envoyé par la journaliste de BFM TV, qui s’excuse de l’erreur. L’imam s’explique à StreetPress :
« Après être parti de la mosquée d’Alfortville, les journalistes ont continué à m’introduire sous ce statut. Je donnais la consigne de ne pas me présenter comme ça mais il y a eu des erreurs. Le problème, c’est que si je rectifie en plateau, ça va immédiatement décentrer le débat. Ce qui est important, c’est ce que je dis, pas qui je suis. »
En réalité, Abdelali Mamoun n’a aujourd’hui de fonctions dans aucune mosquée. Il est imam itinérant. Dhaou Meskine, porte-parole du conseil des imams de France, prend la défense de son « ami » :
« Si vous dites “je suis imam nulle part”, personne ne va vous inviter. »
La boulette
Sous la grande halle de la Villette, le serveur tarde à apporter les cafés. Mamoun toque sèchement à la vitre pour accélérer les choses. « Je suis fougueux », concède-t-il. Un trait de caractère qui lui vaut quelques mésaventures. Le 8 juin 2015 déjà, le Conseil des Imams de France publie un communiqué pour informer qu’Abdelali Mamoun « ne représente en aucune façon le Conseil des Imams de France ». Il aurait donc usurpé le poste de porte-parole, occupé par … son ami Dhaou Meskine. Ce dernier concède qu’ « il déborde parfois ». Et le fondateur de la première école muslim en France de déminer l’affaire :
« Ce communiqué a été écrit à la sauvette. Abdelali est toujours membre du Conseil mais pas porte-parole. Le porte-parolat lui a été donné provisoirement au début. »
Dhaou Meskine préfère balayer l’affaire sous le tapis mais l’épisode reste en travers de la gorge d’une partie des membres de l’institution. Et l’imam itinérant n’a pas l’air de vouloir apaiser la situation :
« J’en ai rien à foutre du conseil des Imams de France. C’est Dhaou Meskine qui m’a demandé personnellement d’occuper provisoirement ce poste. Je l’ai fait et après on vient me le reprocher. De toute façon, c’est une structure endormie, il n’y a jamais de conseil, ce n’est pas clair. »
« J’en ai rien à foutre du conseil des Imams de France. » / Crédits : Vassili Feodoroff
Pour un islam made in France
S’il a tant de détracteurs dans les mosquées, c’est que Mamoun est un empêcheur de tourner en rond. Depuis des années, il s’est engagé dans un combat contre l’islam consulaire, ces liens idéologiques, politiques et financiers qui unissent une grande majorité des mosquées françaises et certains pays comme l’Algérie ou le Maroc. Une croisade qui le met en minorité quasiment partout où il passe, jusque dans sa propre famille.
À la fin des années 90, son beau-père, Ali Berka, est recteur de la mosquée de Mantes-la-Jolie et Mamoun en est le secrétaire général. À cette époque, Ali Berka est proche de la Ligue Islamique Mondiale, un outil de l’influence saoudienne. Une situation qui rend le clash inévitable entre le jeune Abdelali et son beau-père, redevenu proche du Maroc après avoir été un farouche opposant au régime. L’imam rembobine aujourd’hui :
« La mosquée était devenue une succursale du Maroc. Je contestais tout donc j’étais considéré comme un boulet. Monsieur Berka a évincé tous les Algériens, j’étais dans le lot. »
L’embrouille a forcément des répercussions dans sa vie privée. En même temps qu’il quitte la mosquée de sa ville, il divorce de sa femme, restée fidèle à son père. C’est le début de l’itinérance pour Abdelali Mamoun. En parallèle de sa carrière chez Renault, où il bosse au service Achat Prototypes, l’imam passe dans une dizaine de mosquées, à Clamart, Sartrouville, Argenteuil ou Javel à Paris.
Qui n’aime pas l’imam Mamoun ?
L’imam ne se fait pas d’illusion sur sa situation. Son itinérance est loin d’être un choix. Il a fait ses calculs :
« Il y a environ 2500 mosquées en France. Je suis en conflit avec 2000 d’entre elles, qui sont soit nationalistes [proche de pays étrangers, ndlr] soit islamistes. D’autres imams sont d’accord avec moi, mais ils ont peur de perdre leur poste s’ils l’ouvrent. »
Pour Mamoun, c’est devenu une habitude. En 2010, il a une nouvelle fois été démis de son poste par l’Association des Musulmans de Guyancourt, dans les Yvelines. « J’étais contre le voile intégral, ça n’a pas plus aux salafistes qui contrôlaient la mosquée », remet-il aujourd’hui. Il n’est pas le seul à prendre la porte à cette époque. Une partie de la communauté muslim de la ville fait scission et monte une autre asso. L’un des dirigeants complète l’histoire :
« On a été mis dehors comme Mamoun. C’était un vrai ‘putsch’. À l’époque, les salafistes étaient majoritaires dans le conseil d’administration. Le fait d’avoir dit qu’il était contre la burqa, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. »
Contactés par StreetPress, les actuels dirigeants de l’AMG, l’association qui a viré Mamoun, réfutent l’étiquette « salafiste ». Ils reprochent à l’imam d’être sorti de son rôle d’imam et d’avoir « mis son nez dans les affaires de l’association », ce qui a entraîné « un accrochage ».
« J’étais contre le voile intégral, ça n’a pas plus aux salafistes qui contrôlaient la mosquée. » / Crédits : BFM
Pour le socioloque Omeru Marongiu, qui a connu Mamoun dans les années 90, les adversaires de l’imam sont bien identifiables :
« D’un côté, il y a les musulmans estampillés salafs qui en ont marre qu’on les attaque du matin au soir. D’un autre côté, il y a ceux que Bernard Godard [ex monsieur Islam de plusieurs ministres, ndlr] appelle les “islamo-gauchistes”, des personnes qui critiquent le gouvernement et voient dans ceux qu’on présente comme des “imams républicains”, des pantins des politiques. »
Le patriote
Si Mamoun n’a pas que des copains, c’est aussi parce qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il parle des musulmans. Une source qui le connaît bien évoque « un discours qui se rapproche de celui de la droite, voire des identitaires. À l’écouter, les musulmans devraient dormir avec un slip bleu blanc rouge ».
Preuve par l’exemple :
« Les musulmans français n’aiment pas la France. Quand je chante la Marseillaise, pour eux c’est une hérésie. Mais je la chantais déjà à l’armée ! »
La fibre patriotique n’est pas un vain mot pour Abdelali Mamoun. Pourtant son parcours aurait pu l’amener vers d’autres courants politiques. Son père, harki, a débarqué du côté des Yvelines avec femme et enfants en 1967. Abdelali est né un an plus tard. Il est le premier bambin de la famille à être né sur le sol français. Sa mère, femme au foyer, élève leurs dix enfants. Il décrit son père comme un « bledard », ouvrier chez Renault, amateur d’un petit verre de temps en temps et d’une partie de cartes :
« Il avait laissé derrière lui la religion en arrivant en France. En 1975, il s’y engage à nouveau sous l’influence de mon oncle. Le frère de mon père est l’un des dirigeants du mouvement tabligh en France, l’équivalent des témoins de Jéhovah chez les musulmans pour simplifier. »
Alors qu’il est en 4ème, son oncle lui propose d’aller étudier en Syrie dans un internat religieux. Il y restera 8 ans avant de rentrer en France. À son arrivée, au début des années 90, c’est la gendarmerie qui le cueille :
« Ils pensaient que j’avais voulu éviter mon service militaire. Ç’aurait été de la désertion et, à l’époque, c’était puni par la loi martiale. »
Mamoun réussit à prouver qu’il était à l’étranger et file dans une caserne du côté de Lunéville, au 3e régiment cuirassiers. L’imam devient même brigadier-chef. Un tournant pour lui :
« C’est là où je me suis vraiment imprégné de l’amour de la France. Je me suis demandé comment mêler cette fierté d’être Français à des valeurs islamiques. »
Chalghoumi, l’ancien copain
Un discours qui rappelle celui d’un autre imam médiatique, au moins autant contesté : Hassen Chalghoumi. Les deux hommes se connaissent bien. Chalghoumi était même présent au mariage de Mamoun. Mais l’imam itinérant assure avoir coupé les ponts depuis 2010 et la loi contre le voile intégral. À l’époque, Mamoun s’oppose au niqab, mais aussi au vote d’une loi. Pour lui, c’est une affaire religieuse sur laquelle l’État n’a pas à légiférer. Chalghoumi, lui, va dans le sens du gouvernement. Abdelali Mamoun revient sur cette rupture :
« On s’est vu avec Chalghoumi et quelques autres personnes. Je lui ai dit : “Tu arrêtes ton délire. Tu as le droit d’être contre la burqa, mais l’État ne peut pas faire ça”. »
Chalghoumi refuse de se ranger à l’opinion de son ami. Leurs chemins se séparent. Sur le reste, les points communs sont toujours nombreux entre les deux imams qui entendent « renationaliser l’Islam de France ». Pour autant, Dhaou Meskine réfute le parallèle entre les deux imams :
« Il n’a rien à voir avec Chalghoumi. Mamoun a du savoir alors que Chalghoumi n’a aucune compétence. »
Même son de cloche chez Omeru Marongiu, sociologue spécialiste de l’Islam, pour qui Mamoun « est vraiment ancré dans la communauté et a un vrai background ».
Sifaoui, le nouveau pote ?
Abdelali Mamoun sirote son café quand notre conversation est interrompue par un coup de fil. L’imam parle en arabe, très fort, rigole avec son interlocuteur. Une fois le portable reposé sur la table, il raconte, sourire aux lèvres :
« Je disais que j’allais prêter allégeance à l’État Islamique pour blaguer. C’était M. Sifaoui au téléphone. »
« C’était M. Sifaoui au téléphone. » / Crédits : Vassili Feodoroff
Comme Mamoun, Mohammed Sifaoui, journaliste et écrivain, est un habitué des plateaux télé. Dire que ses positions ne font pas l’unanimité auprès des musulmans relève de l’euphémisme : il n’hésite pas à comparer le voile à une « serpillère » sur Twitter ou à brocarder Latifa Ibn Ziaten, la mère d’une victime de Mohamed Merah, « sortie de ses fourneaux » pour « devenir une égérie de la lutte antiterroriste ».
Une relation qui risque de donner du grain à moudre à ses détracteurs, d’autant que le coup de fil n’est pas anodin. Dans les tuyaux : l’ouverture, à Sarcelles, d’un centre de prévention de la radicalisation. C’est Mohamed Sifaoui qui est pressenti pour être aux manettes du projet lancé par le maire de la ville du Val d’Oise. « Il veut que je vienne pour des conférences, que je gère la partie théologique du projet », éclaire Mamoun. Les mois qui viennent s’annoncent chargés pour l’imam, car en parallèle, il est en pleine écriture d’un livre. Le titre :
« L’Islam contre le radicalisme, manuel de contre-offensive. »
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