Paris 15e, rue François-Bonvin – Pour entrer dans l’église Sainte Rita, mitoyenne aux bureaux de l’Unesco, il faut passer par une porte de chantier gardée par 2 hommes. L’un d’eux, le visage caché par un masque de V pour Vendetta, tend une pétition contre la démolition de cet édifice religieux néo-gothique.
Bohrt Mignolet, le vigile improvisé à l’accent belge prononcé, fait partie des « irréductibles » du “Mouvement du 14 juillet”:http://www.streetpress.com/tags-editoriaux/mouvement-du-14-juillet. Dans la nuit du 5 au 6 octobre, une poignée de militants de ce collectif débarque pour « libérer » l’église promise à la démolition. Ils glissent une échelle au-dessus de la palissade et se faufilent par la fenêtre du 1er.
Ils s’ajoutent à la longue liste des défenseurs de l’église, connue par le passé pour ses bénédictions d’animaux. Ainsi, ex-mégrétiste, fondateurs de Riposte laïque, animateurs de Radio Courtoisie, « soralien » ou cathos tradis, se mobilisent au gré des opportunités pour sauver l’édifice. 2 ans déjà que l’église doit être détruite pour laisser place à un parking et des logements sociaux.
L'Eglise Sainte-Rita, une ZAD conspi' en plein Paris / Crédits : Michela Cuccagna
Le pu-putsch du 14 juillet
« On est apolitique : ni lié à l’extrême gauche, ni lié à l’extrême droite », assure d’entrée Mignolet, comme pour anticiper « la désinformation » des médias sur le Mouvement du 14 juillet, avant d’énumérer le patchwork fourre-tout des luttes que les squatteurs mènent : contre le TAFTA, les vaccins, les chemtrails ou pour la Palestine…
StreetPress vous avait déjà parlé de cette bande de loustics : Au début de l’été 2015, Eric Fiorille, le naturopathe le plus hype de la complosphère appelait le peuple à descendre dans la rue pour prendre le pouvoir le 14 juillet. Sans surprise, le projet de putsch fait pschitt : 400 fans à peine se pointent au rendez-vous. Mais le collectif ne lâche pas l’affaire et installe un campement aux Invalides, avant de s’incruster à Sainte Rita.
Depuis début octobre, une quinzaine de personnes squattent l'Eglise Sainte-Rita / Crédits : Michela Cuccagna
« ZAD » conspirationniste
Dans le presbytère, une quinzaine de personnes se revendiquant du mouvement « putschiste » vaquent, un spliff à la main. « Ici, c’est plus ou moins une Zone à défendre (ZAD), une ZAD à mi-temps », explique David Pastor, santiags et cheveux longs. Avec Karen Lagarde, décrocheuse de drapeau européen proche de l’ex-militant UPR, Sylvain Baron, ils improvisent pour StreetPress une visite commentée de leur nouveau QG en proie aux fuites d’eau. Un drapeau français et des tracts traînent dans la nef tandis qu’un chien joue avec un morceau de banc.
« Ici, c’est la dissidence », clame un grand black, croix dorée autour du cou, avant de vanter une action du groupuscule nationaliste Renouveau français contre le « QG » de Bernard-Henri Lévy – le café de Flore. Et de nous conseiller le reportage consacré au sujet par le site d’Égalité & Réconciliation. Il se présente d’ailleurs comme « un soralien », tout en refusant de donner son nom. L’échange est tendu. A notre départ, il demande à StreetPress une carte pour prouver que nous sommes bien journalistes.
Dans une ambiance chalet suisse, Nicolas Stoquer (à droite) serre la pogne à un militant du Mouvement du 14 Juillet / Crédits : Michela Cuccagna
« On lui a demandé d’éviter sa propagande sur le sujet. Je ne veux pas d’antisionisme dans l’église », commente, gêné, Nicolas Stoquer, une fois le jeune homme parti. Le quinqua dégarni est président délégué de l’association des Arches de Sainte Rita, le collectif de défense de l’église. Il nous a filé rencard au Comptoir de l’Europe, un bistrot à deux pas de la gare Saint-Lazare, pour raconter son implication auprès des paroissiens de l’église de « la patronne des causes perdues ».
Stoquer, « gaulliste » souverainiste et catholique
Pull couleur crème, regard perçant, Stoquer se définit d’abord comme un défenseur du patrimoine. Il n’en est pas à son premier combat : Engagé pour la défense de la nécropole des rois de France à Saint-Denis) mais aussi contre l’installation du Starbucks Café, place du Tertre à Montmartre, en 2013. Une action soutenue, à l’époque, par le Bloc identitaire.
Nicolas Stoquer n’est pas qu’un simple protecteur des vieilles pierres. C’est aussi un fervent catholique – il le revendique lui-même – proche des courants traditionalistes. Le 15 novembre, c’est sur son invitation que l’abbé Guillaume de Tanouärn, ancien de la fraternité tradi’ Saint-Pie-X de Mrg Lefebvre, donnait à Sainte Rita une messe en hommage aux victimes des attentats.
Le nouveau boss de la rue François Bonvin ne cache pas non plus ses engagements politiques à la droite de la droite. Stoquer est en effet secrétaire général du Rassemblement, un micro-parti souverainiste. Un lundi sur 4, il anime avec son pote Alain Bournazel une émission sur Radio Courtoisie. Au micro du « Libre journal de l’indépendance » défile la hype de la droite réactionnaire. Béatrice Bourges, du Printemps français, et l’ex-député homophobe Christian Vanneste y sont passés le mois dernier.
Nicolas Stoquer : gaulliste, souverainiste et catholique / Crédits : Michela Cuccagna
Mgr Dominique Philippe, l’archevêque de l’église catholique gallicane qui officiait à Sainte Rita depuis 1987, confirme le background politique de l’assos de défense de l’église.
Dans un café près de Nation, ce grand bonhomme, soupçonné par ses détracteurs d’avoir quitté les lieux en mars avec toute la déco intérieure de la paroisse – « ses biens à lui », jure-t-il, se souvient de l’entrée en piste de Stoquer et Bournazel lors des vœux aux paroissiens de janvier 2014. Ils auraient été invités par un paroissien, François Lusinchi, fidèle de l’église de la rue François-Bonvin depuis une vingtaine d’années. Ce dernier nie en bloc. Cet ancien militaire de carrière, président des « Arches de Sainte Rita », a pourtant lui aussi un passé politique chargé : ancien mégrétiste, il a été candidat aux législatives de 2007 dans le 9e circo du Val-d’Oise à Gonesse pour le MNR, avant de passer chez Les Républicains pour les municipales à Fosses (95) en 2014.
« L’église de la résistance » de Riposte Laïque
Samedi 7 novembre, dans Sainte Rita « occupée », c’est « Faf-land ». Sur invitation de Nicolas Stoquer, les islamophobes de Riposte laïque et de Résistance républicaine organisent un hommage à l’avocat Joseph Scipilliti. Une dizaine de jours plus tôt, ce dernier entrait en trombe dans le bureau du bâtonnier de Melun pour lui tirer 3 balles dans le buffet avant de retourner l’arme contre lui. Scipilliti est mort sur le coup, la victime gravement blessée.
Samedi 7 novembre, dans Sainte-Rita « occupée », une messe en l'honneur de l'avocat qui a tiré sur le bâtonnier du tribunal de Melun / Crédits : Michela Cuccagna
Les proches de l’avocat d’extrême droite se succèdent à la tribune pour rendre hommage au « héros victime d’une forme de terrorisme ». « L’église Sainte Rita, c’est tout un symbole d’abord parce que c’est une église de la résistance », lance une Christine Tasin en larmes avant de laisser la place à son compagnon Pierre Cassen, ancien client de Scipilliti.
Dans l’assistance, sous tension, un homme d’une soixantaine d’années porte un drapeau français en cape. Certains se cachent le visage pour ne pas apparaître sur les images des quelques caméras de médias de « dissidents » qui filment la bénédiction. Pour clore la cérémonie, une Marseillaise est entonnée et diffusée dans tout le quartier grâce à des haut-parleurs. « Pour une fois qu’on nous entend, nous, les patriotes », murmure à Stoquer, Chritine Tasin, revivifiée.
Le ban et l'arrière-ban de l'extrême droite française dans la nef de l'Eglise / Crédits : Michela Cuccagna
Le soutien ambigu de la droite républicaine du 15e
Face à l’occupation illégale de Sainte Rita, et les soutiens encombrant, les élus de la droite républicaine du 15e, ne savent plus vraiment sur quel pied danser. Interrogé par StreetPress, Olivier Rigaud, élu en charge du patrimoine à la mairie du 15e, se désolidarise des squatteurs complotistes :
« On ne peut pas cautionner ce mouvement [ndlr, le Mouvement du 14 juillet]. Ils avaient besoin d’une base pour se refaire une santé le temps de la trêve hivernale ».
A propos des autres militants d’extrême droite engagés dans le combat de Sainte Rita, sa position est plus ambiguë :
« J’interviens comme médiateur, je ne vais pas dire que j’approuve ou je désapprouve : on est obligé de rester neutre. »
Et d’insister :
« En tant qu’élu, on n’a pas à gérer qui fait quoi dans l’église, et aucun élu n’a participé aux offices. »
Aux offices peut-être, mais aux manifs si : Le 15 mars 2014, 2 conseillères d’arrondissement défilaient aux côtés de Stoquer, Bournazel et même Christine Tasin. Stoquer enfonce le clou :
« Le Front national ne nous a absolument pas défendu. Seuls Philippe Goujon [député maire Républicain de l’arrondissement, ndlr] et la liste dissidente de Beigbeider nous ont soutenu. »
Goujon en campagne aurait même lancé à Stoquer :
« S’ils veulent démolir, j’irai moi-même avec mon écharpe tricolore entre les bulldozers et l’église, et j’y emmènerai la moitié de mon conseil municipal ! »
L’année suivante, en février 2015, le député 2.0 LR des Français de l’étranger Frédéric Lefebvre lance même la pétition en ligne « SOS pour nos églises ». Contacté par Streetpress, il n’a jamais répondu à nos demandes d’interview.
Les gallicans mis au placard
Depuis les attentats du 13 novembre, les squatteurs conspis et Nicolas Stoquer projettent toujours « de rendre le pouvoir au peuple » lors d’un grand « jubilé » depuis l’église Sainte Rita. Ils ont pourtant forcé le départ des derniers fidèles gallicans dont le prêtre camerounais Mrg Samuel Pouhé et François Lusinchi, leurs anciens alliés :
« C’est un coup d’état d’église. Leur gourou Sylvain Baron voulait faire une manifestation pour renverser François Hollande le 14 novembre ! », tempête le vieux paroissien au téléphone.
Messe dans l'église Saint-Rita. / Crédits : Michela Cuccagna
L’ancien archevêque de Sainte Rita, Mgr Dominique Philippe, discrédité par les actuels défenseurs de l’église, ironise avec un pointe d’amertume :
« C’est un vrai feuilleton, c’est Amour gloire et beauté ».
Edit 23.12.15 : Olivier Rigaud, élu en charge du patrimoine et de l’habitat à la Mairie du 15e fait partie de la majorité de droite et du centre, mais n’est pas membre des Républicains.
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