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    20/05/2014

    Dans la dernière dictature d'Europe, 11 étudiants kiffent le Belarus way of life

    La Biélorussie, son dictateur moustachu et... son école pour petits Français

    Par Robin D'Angelo

    Chant, diction, piano, acting: 11 étudiants français passent 9 mois en vase clos dans un cottage de la banlieue de Minsk. Une paisible école de théâtre française, sauf quand la troupe est réveillée au petit matin par des agents du KGB.

    Bienvenue à Minsk (Biélorussie), ses HLM géants, sa place Lénine, ses militaires en képi et … son école de théâtre pour étudiants français. Depuis le mois d’octobre, 11 apprentis comédiens français suivent dans la capitale biélorusse une formation intensive aux arts du spectacle. Chant, claquettes, piano, maquillage, acting : pendant 9 mois, les élèves âgés de 18 à 24 ans vivent en vase clos dans une grande maison de la banlieue de Minsk pour se consacrer à leur passion. 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

    MAP Minsk, c'est où ?

    Venir à Minsk demande de la motivation. Pour obtenir le droit de fouler le sol biélorusse, justifier de l’invitation d’un ami ou d’une réservation dans un hôtel, documents officiels à l’appui. Puis recommencer les démarches, cette fois pour recevoir un visa russe. Si vous avez décidé de ne pas passer par Moscou, vous devrez atterrir à Vilnius (Lituanie), puis traverser la frontière en bus ou en train pour rallier Minsk, à 4 heures de là… Les journalistes sont, eux, priés de faire une demande d’accréditation un mois à l’avance. Avant de montrer patte blanche au ministère, à leur arrivée dans le pays.

    Le boss de l’école Fabrice Carrey savoure son coup de force d’avoir réussi à implanter une formation théâtrale en Biélorussie, pays considéré comme la dernière dictature d’Europe :

    « Il n’y a pas d’autres Français qui étudient le théâtre à Minsk. Et à ma connaissance, il n’y a pas d’autres étudiants français tout court ! »

    Belarus way of life

    Le long d’une nationale dans la banlieue de Minsk, une belle bâtisse de 3 étages est légèrement isolée du reste d’un ensemble pavillonnaire. Depuis l’arrière-cour, la vue est imprenable sur de charmantes maisonnettes. Face à l’entrée, des barres d’immeubles dans le plus pur style soviétique s’étendent à perte de vue. Borovliany, banlieue-dortoir pour classes moyennes, vous dit bonjour. Peut-être l’endroit d’Europe où l’on s’attend le moins à trouver une colonie de 11 étudiants français en poussant la porte d’un pavillon.

    Attablé dans la cuisine avec deux étudiants, Fabrice Carrey, 42 ans, relativise l’isolement géographique de son école :

    « Dans l’ancienne résidence, les étudiants devaient traverser une forêt pendant 20 minutes pour aller au supermarché… Avec la neige, c’était difficile. »

    Ici, les distractions se comptent sur les doigts d’une main : un bar et un petit supermarché. Le centre de Minsk est à 45 minutes en bus et le nombre de personnes qui parlent anglais approche les -30. Comme la température la plus basse de cet hiver.

    Depuis 2004, le volubile professeur de théâtre organise d’octobre à juin une formation aux arts du spectacle destinée à des francophones. En immense majorité des jeunes Français mais aussi quelques Belges et des Suisses. Après 8 premières années passées à Tsna, une autre banlieue de Minsk, c’est à Borovliany que Fabrice Carrey a déménagé en 2012 son école « Demain le printemps ».

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    Belarus way of life / Crédits : Robin d'Angelo

    High school musical

    Ce jeudi dans « le cottage » de Demain le printemps, Julian, 24 ans, démarre sa journée à 9h30 par un cours de diction. A 11 heures, il enchaîne avec une classe de chant en prévision d’une comédie musicale que la troupe présentera en fin d’année. A peine le temps de déjeuner qu’à 14 heures il a cours de flamenco. Puis 4 heures de technique d’acteur avec Igor, professeur biélorusse de 1 mètre 98 tout droit sorti de Rocky 4. La journée s’achève sur les rotules à 00h15 après une interminable répétition. Le lendemain les étudiants doivent jouer une pièce à l’occasion d’une journée de la francophonie.

    Julian, grand gaillard un peu dégingandé, vit bien ce rythme très intensif :

    « Ce que j’aime, c’est qu’on est poussés dans nos derniers retranchements. Moi je suis trop laxiste, et j’ai besoin de ça. »

    Dans la résidence de Demain le printemps, on respire, on mange et on dort théâtre. Les élèves vivent tous ensemble dans « le cottage » spécialement aménagé pour leurs cours à domicile. Au sous-sol, une salle de danse et une salle de maquillage. Le rez-de-chaussée, un peu décrépi, fait office de scène et le premier étage est consacré au piano. Toutes les leçons sont assurées par des professeurs biélorusses, aidés par une équipe de 3 traducteurs. L’école est inscrite au registre des formations mais n’est pas reconnue par l’État.

    Comédiens débutants

    Avant de venir à Minsk, la plupart des étudiants n’avaient jamais entendu parler de la Biélorussie. « A part pour le football », s’amuse Thomas, 21 ans. Le garçon à la barbe de trois jours et aux yeux rieurs se souvient parfaitement du jour où il a découvert Demain le printemps. Dans le théâtre parisien où il bosse, il croise un ancien élève qui fait l’éloge de l’école. En quête d’expérience avant de passer des concours pour devenir marionnettiste, il s’inscrit à la formation intensive. Objectif : acquérir rapidement un petit niveau dans plusieurs disciplines des arts vivants.

    Comme presque tous les élèves, Pauline, 24 ans, a aussi connu l’école par le bouche à oreille. Yeux verts et longs cheveux châtains, la jolie ronde de 24 ans décide de se lâcher pour enfin faire ce qu’il lui plaît vraiment. Après un master d’histoire et un diplôme dans une école de commerce. Même si elle n’a que très peu d’expérience en théâtre.

    Le directeur Fabrice Carrey répète que ce n’est pas le niveau qui compte pour entrer à Demain le printemps mais la motivation. L’école demande des sacrifices : Les 11 élèves renoncent à une partie de leur intimité en se partageant pendant 9 mois des dortoirs. L’accent est mis sur la vie en communauté. Chaque soir, ils doivent cuisiner un repas collectif et faire le ménage avec des horaires stricts. Fabrice Carrey – qui passe 10 jours par mois dans « le cottage », insiste sur le besoin « d’exigence »  et d‘« organisation ». Peu avant notre arrivée, il a fait réveiller ses élèves un dimanche matin à 8h par un militaire biélorusse pour leur imposer du rangement… 2 élèves ont déjà abandonné la formation en cours de route.

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    Armelle, apprentie comédienne / Crédits : Robin d'Angelo

    Hauts les mains

    Au mois de novembre, un événement a bien failli faire capoter la master class 2014 de Demain le printemps. Ce matin-là, Elouan, un des élèves moteur de la promo, est en train de couper un citron dans la cuisine quand un policier cagoulé déboule en trombe, le met en joue puis le plaque au sol. Thomas, le marionnettiste, est réveillé à coup de rangers dans les côtes tandis que Jade, danseuse venue d’Avignon, se fait attraper par la nuque avant d’être mise à terre. Les élèves sont rassemblés au sous-sol qui sert habituellement aux cours de claquettes. Pendant plus d’une heure, 3 à 5 hommes en uniforme fouillent de fond en comble « le cottage ». Avant de disparaître sans donner la moindre explication. Choquée, une élève dépose une main-courante à la gendarmerie de l’ambassade de France à Minsk. D’autres se demandent s’ils veulent continuer la formation.

    Dans la petite troupe, les spéculations vont bon train sur les raisons de « la descente du GIGN biélorusse. » Certains suspectent le KGB – les services secrets ont conservé leur nom ici – d’avoir voulu vérifier ce qu’il se passait dans la maison. Ou tout simplement d’avoir cherché à leur faire peur, en guise de cadeau de bienvenue. Une étudiante croit même avoir reconnu, parmi les assaillants, un policier en civil avec qui elle avait discuté dans un bar des environs, les jours précédents…

    L’ombre du régime autoritaire du président Alexandre Loukachenko plane sur l’affaire. Mais Fabrice Carrey coupe court aux rumeurs en assurant que la descente n’avait rien de politique :

    « Apparemment il y a eu des présomptions comme quoi des gens du quartier avaient acheté de la drogue. Ils sont intervenus, c’est normal. Peut-être qu’ils se sont trompés de baraque. Ça aurait pu arriver dans n’importe quel pays du monde. »

    Prix Loukachenko

    A StreetPress, des élèves assurent que certains professeurs leur ont ordonné de ne pas ébruiter l’affaire : effrayer leurs familles aurait pu remettre en cause la master class, alors que la Biélorussie est déjà au ban des nations. Depuis 20 ans, le pays est dirigé par le même autocrate moustachu, Alexandre Loukachenko. L’opposition est inexistante, les médias sévèrement contrôlés. 32 dignitaires de haut rang, dont le président himself, sont interdits de territoire européen. Leurs avoirs ont aussi été gelés par l’UE.


    Fabrice et Igor imitent Laurel et Hardy

    Monter une école en Biélorussie requiert de ne pas faire de vagues. L’école s’appuie sur le réseau de la très officielle Académie des Arts de Minsk. La professeur-vedette de Demain le printemps, Lidia Alekseevna Monakova en a été directrice de chaire. Elle a aussi siégé dans une commission du ministère de la Culture et a été lauréate du prix du président de la République du Bélarus (sic).

    L’école a des bonnes relations avec l’administration de la Biélorussie. C’est sous les bons conseils des diplomates biélorusses en poste à Paris que Fabrice Carrey a créé Moo Teatro en 2007, la façade biélorusse de Demain le printemps. Objectif : ne plus être soumis aux incidents diplomatiques qui parasitent les relations difficiles entre la France et la Biélorussie. Cette année-là, les élèves de Demain le printemps avaient été privés de visa suite à la garde à vue d’un metteur en scène français qui s’était rapproché d’une troupe de théâtre critique à l’égard du régime.

    Autres avantages : L’école bénéficie d’exemptions de frais de visa. Elle peut aussi embaucher des Biélorusses à tarif préférentiel – 250 euros par mois – dans le cadre d’un contrat de deux ans qui lie chaque jeune diplômé à l’État.

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    Fabrice Carrey dort sur un sofa quand il est de passage au cottage / Crédits : Robin d'Angelo

    Dans ma bulle

    Au 1er étage du cottage, assis sur le petit canapé qui lui sert de lit dans son bureau, Fabrice Carrey sert la soupe au président Loukachenko. Malgré sa 4è réélection en 2010 avec près de 80% des voix, des arrestations d’opposants et plusieurs nuits d’émeutes :

    « Je ne peux pas considérer que c’est une dictature parce que les gens votent ! Je suis désolé mais les élections ne sont pas truquées. Je vis ici depuis 21 ans et je vois bien qu’il y a un consensus, que les gens sont d’accord. »


    Borovliany sur mer

    Dans les rues de Minsk, pas de portrait du président, ni d’affiches de propagande. La dictature est invisible pour qui ne se mêle pas de politique. Encore plus à Borovliany, où les étudiants sont entretenus dans une bulle. L’isolement est renforcé par l’enclavement du cottage et la barrière de la langue. Par manque de temps, une femme à tout faire s‘occupe même de leurs courses. Certains élèves ont parfois passé 10 jours sans jamais sortir de l’école. « Franchement le pays, on ne le connait pas. Même Minsk, on ne connaît que très peu », lâche Julian, 24 ans et ex-étudiant en droit.

    La bulle rompt de temps en temps. Comme à cette soirée où un groupe d’étudiants a été invité par un punk biélorusse à une sorte de rave party dans un bunker. Les seuls Biélorusses que les étudiants côtoient réellement, c’est le staff de traducteurs de Demain le printemps. Des jeunes biélorusses très sages comme Anna, 23 ans, amatrice de ballets et friande de voyages religieux. Ou Youlia, grande rousse de 25 ans au français impeccable, bardée de diplômes et qui rêve de travailler avec des sourds. La jeune traductrice s’inquiète, comme la grande majorité des Biélorusses, de la situation en Ukraine et se félicite de la stabilité de son pays. Lidia Alekseevna Monakova, la prof’ décorée par le président Loukachenko, achèvera d’ailleurs son cours de l’après-midi par une longue digression sur les fascistes ukrainiens soutenus par l’Occident.

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    Lidia Monakova, ponte du théatre biélorusse et sa traductrice Youlia / Crédits : Robin d'Angelo

    Soft Power

    Pour fonctionner, Demain le printemps repose exclusivement sur les frais d’inscriptions de ses petits étudiants : 8.840 euros par an. Demain le printemps reçoit aussi 5.000 euros de l’ambassade de France à titre de prestataire. Car la troupe d’apprentis-comédiens est régulièrement en tournée dans des écoles du pays pour promouvoir la Francophonie.


    Les étudiants et leurs groupies

    Comme ce lundi 28 avril au collège-lycée de Soligorsk – à 150km de Minsk – un des 8 établissements biélorusses qui bénéficie d’une section bilingue. Sous une banderole « Vive le Français », les étudiants jouent leur pièce « Caprice français » devant près de 200 élèves en uniforme parmi les meilleurs du pays. Autographes, selfies avec les lycéennes, visite du musée de la ville… ils sont accueillis comme des vedettes.

    A l’ambassade de France à Minsk, située à deux pas du très cossu restaurant Le Grand Café, Fabrice Carrey est à tu et à nous avec les diplomates. Le projet Demain le printemps entre en parfaite résonance avec la stratégie de l’ambassade de France. Contrairement à certaines ambassades, qui vont soutenir la société civile ou les médias indépendants, la France a fait le choix de « projets politiquement neutres » pour développer son soft power dans le pays. Objectif : toucher tous les Biélorusses, notamment les fonctionnaires qui représentent plus de 70% de la population. Un diplomate en poste à Minsk justifie la position française :

    « Ce n’est pas parce que c’est un régime autoritaire sous sanctions qu’on va arrêter de se parler ! C’est d’autant plus difficile de se comprendre si on ne se connaît pas. »

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