Du centre de Strasbourg, il faut une quinzaine de minutes à pieds pour rejoindre le Parlement européen. Quinze minutes à traverser les quartiers cossus de la capitale alsacienne, quinze minutes à longer les bords de l’Ill (affluent du Rhin) tout en croisant des attachés parlementaires déjà overbookés.
Juste avant d’arriver sur les lieux de l’institution, on passe devant les locaux d’Arte. Sur un des murs du siège de la chaîne franco-allemande, un tag interpelle : « A bas l’Europe ». Reste que l’on se sent tout petit lorsqu’on arrive au pied du Parlement européen. En entrant dans la cour intérieure, on croirait pénétrer dans une réplique du Sénat de Star Wars.
Badge Lundi matin, premier jour de session : on explique aux journalistes qu’il faut se rendre à un guichet spécial, censé ouvrir à 12h. Sur place, à l’heure indiquée, personne pour remettre les badges. Le bureau n’ouvre qu’à 14h. Mais de retour à l’heure dite, la personne à l’accueil explique qu’elle n’a pas les codes pour mettre en route le système informatique… Quant au responsable du bureau, il n’est pas encore arrivé à Strasbourg. Il va falloir encore attendre.
A l’occasion de chaque session plénière, le Parlement déménage de Bruxelles à Strasbourg où il se réunit pour quatre jours. L’aller-retour oblige à une gymnastique interne fatigante, avec tous les couacs techniques qui vont avec. Pour obtenir le fameux badge, il faudra finalement se rendre dans une autre aile du Parlement.
Paperasserie Loin de la politique, Strasbourg c’est une histoire de paperasserie. Un enchevêtrement de couloirs, de sites, d’étages, de bureaux, de salles aux noms étranges – « LoW », « WiC » – dans lesquels on se perd en un rien de temps.
Karima Delli, eurodéputée et étoile montante des Verts, dans son bureau qu’elle partage avec ses 2 assistants :
« La vie à l’intérieur du Parlement est très codifiée »
Pour savoir qui fait quoi au PE, chacun est identifiable grâce à la couleur de sa carte. Bleu marine pour les députés, bleu ciel pour les assistants parlementaires. Les badges jaunes sont réservés aux journalistes et les invités portent des stickers blancs. « Pour les lobbies, c’est le marron », ajoute Delli.
Déménageurs bretons Le lendemain matin, deux cafés serrés dans le ventre et je saute dans un taxi. A peine entré dans le véhicule que son chauffeur – visiblement fidèle auditeur de Jean-Jacques Bourdin, me questionne. Puisqu’il tient un journaliste, il saute sur l’occasion pour me raconter sa crainte de voir le Parlement migrer vers Bruxelles :
« Le manque à gagner serait énorme pour les hôteliers et les chauffeurs ! »
Au fil des rencontres, je vais vite comprendre qu’à Strasbourg cette histoire de déménagement fait frissonner la municipalité. Daniel Cohn-Bendit qui devait recevoir la médaille de la ville en a été privée in extremis lorsque le maire Roland Ries a appris qu’il menait la fronde des pro-déménagements. L’eurodéputé écolo qualifie de « cirque incompréhensible » le va-et-vient entre Bruxelles et Strasbourg. Il dénonce ses coûts et la pollution qu’il engendre. Dany le Vert rêve que le Parlement soit transformé en Université européenne.
Pour les lobbies, c’est le badge marron
C’est un cirque incompréhensible
Rock star A Strasbourg, on prend l’ascenseur avec José Bové entouré d’une cohorte de collaborateurs. On croise Jean-Marie Cavada pressant le pas au détour d’un couloir mais aussi Jean-Luc Mélenchon, a.k.a. l’ami des journalistes, en grande discussion avec un scribouillard (tiens, tiens !)
Mais la star du « P.E. » c’est bien Daniel Cohn-Bendit. A 68 ans, l’eurodéputé qui n’a pas la langue dans sa poche a décidé de ne pas se présenter pour un 5e mandat. On l’interroge au bar des députés dans l’enceinte du Parlement :
« Il faut partir quand les gens peuvent encore vous regretter, ne pas faire le mandat de trop… »
L’interview se poursuit tant bien que mal : nous sommes souvent interrompus par ses collègues venus le saluer. En bon client des médias, Dany rebondit :
« Ici, le plus fascinant est qu’on est obligé de naviguer entre les cultures politiques. Hormis avec les partis d’extrême droite, ça me plaît de discuter avec tout le monde. Et on a parfois des surprises. Lorsqu’on parle de la Russie, il est plus facile de nouer des accords avec la droite venant de l’Est plutôt qu’avec des ex-communistes plus ou moins éclairés.»
Maïdan Les événements s’enchaînent chaque demi-heure, leur densité étonne. Je vais à une conférence de presse du groupe libéral au sujet de l’Ukraine, le sujet brûlant du moment. A la tribune, l’eurodéputée française Marielle de Sarnez claque la bise au belge Guy Verhofstadt qui arbore une mèche à faire pâlir d’envie Justin Bieber.
Tout autour de la salle, des dizaines de traducteurs prennent place dans leurs cabines pour traduire les propos des intervenants. Employés par le Parlement, ces derniers sont des maillons essentiels de l’organisation européenne. Sans eux, l’institution ressemblerait à une Babel impuissante…
Devant un parterre de journalistes, la centriste française et l’ancien Premier Ministre belge évoquent Maïdan et les risques de fragmentation de l’Ukraine. Verhofstadt – qui s’exprime en anglais, fait le taf : il parle de la corruption qui règne à Kiev et appelle de ses vœux une stratégie cohérente de l’UE en matière de diplomatie. L’ancien Premier Ministre belge passe le micro à la pop star ukrainienne Ruslana Lyzhychko véritable célébrité dans son pays. La jolie chanteuse – qui a aussi été députée, raconte l’enfer de Maïdan et l’envie des Ukrainiens d’adopter les standards européens.
A voté ! Quand les députés travaillent, c’est en salle de presse que les journalistes passent le plus clair de leur temps. Chaque média y a son box réservé. L’ambiance y est studieuse et les échanges de tuyaux entre journalistes assez courants. Installé devant un écran de télévision retransmettant une session de vote, je regarde, comme hypnotisé, les parlementaires se déterminer en fonction des différents textes en débat. « Le vote est ouvert ! » « Le vote est clos ! ». Le manège est bien curieux et franchement incompréhensible si on n’a pas le mode d’emploi qui va avec.
> 1 président
> 14 vice-présidents
> 766 députés provenant de 28 pays élus pour un mandat de 5 ans
> 1.500 assistants parlementaires
> 6.000 employés répartis sur trois lieux d’activité : Luxembourg, Bruxelles et Strasbourg.
Hormis avec les partis d’extrême droite, ça me plaît de discuter avec tout le monde
Vidéo – La conf de presse de Ruslana Lyzhychko
Un Portugais tente de m’expliquer. « L’exercice est dirigé cette fois par l’eurodéputé belge Isabelle Durant, une des 14 vice-présidents du Parlement européen ». Il va durer trois quarts d’heure. Votes par appel nominal, votes à main levée, votes enregistrés sur boîtiers : le mode de scrutin dépend du texte que l’on adopte et de ses conséquences.
Petites mains Derrière ces textes, il y a ceux qui travaillent dans l’ombre des parlementaires : leurs assistants. Rendez-vous est d’abord pris avec Emmanuel Kujawski. Conseiller Municipal de la ville de Sevran, fief de Stéphane Gatignon, Kujawski assiste le député vert Yannick Jadot au Parlement. Il m’explique qu‘ « à l’inverse des autres partis politiques, les Verts prennent l’Europe au sérieux » puis il évoque le Front National qui, au contraire des autres formations, « n’envoie pas des clampins à Bruxelles »…
C’est ensuite Marion Jeanne et son collègue Nicholas Zylberglajt, Social Media Coordinator du groupe PPE qui m’expliquent la stratégie 2.0 de la droite au Parlement européen. Leur métier consiste, entre autres, à communiquer via les réseaux sociaux, à convaincre leurs députés de l’importance d’entretenir leurs fils Twitter mais aussi à orienter la presse et permettre d’offrir une certaine visibilité médiatique aux eurodéputés du groupe.
Au cours de la semaine, ils ont aussi organisé un speed-dating qui se donnait pour mission de faire se rencontrer blogueurs et députés européens. L’initiative est racontée ici par le blogueur français Fabien Cazenave.
Le Front National n’envoie pas des clampins à Bruxelles
Ecole buissonnière Au terme d’une semaine passée à Strasbourg, ce qui surprend ici est l’ambiance bon enfant qui règne dans les couloirs du Parlement. Contrairement à Paris, peu de petites phrases et moins de polémiques. Au bar des députés qui jouxte la chambre où se déroulent des débats, je rencontre l’eurodéputée Sylvie Goulard, ancienne conseillère de Romano Prodi. Elle regrette le manque d’assiduité de certains de ses collègues français et le manque d’investissement global des partis tricolores lorsqu’il s’agit d’Europe.
« Avec le traité de Lisbonne, le Parlement dispose de pouvoirs législatifs importants qui font qu’une partie des lois qui s’appliquent dans notre pays sont décidées ici et non à l’Assemblée Nationale ou au Sénat. Cela vaut donc la peine d’envoyer ici les personnes les plus qualifiées possibles, les plus motivées ! »
Motivés, on dit que les représentants du Front National le sont… Pourtant, lorsqu’il s’agissait de tenir sa conférence de presse sur l’immigration jeudi 27 février, les journalistes ont longtemps attendu une Marine Le Pen qui ne s’est finalement jamais présentée. Dommage, on aurait bien voulu entendre la Présidente du FN au cœur même d’une Europe qu’elle voue aux gémonies.
Une partie des lois qui s’appliquent dans notre pays sont décidées ici et non à l’Assemblée Nationale
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