L’Europe lâche pas mal de flouze : 132,8 milliards d’euros en 2013. Le plus important, et sans doute le plus connu des postes de dépenses, c’est la Politique Agricole Commune (56,3 milliards d’euros). L’Union met aussi à disposition des fonds dans lesquels les citoyens peuvent piocher (indirectement) pour monter des projets utiles, cool, surprenants et parfois carrément #WTF ! Financer des cours de théâtre pour chômeurs ou un potager et un terrain de tennis dans un village Rom, ça sert à quoi ? StreetPress a passé au crash test quatre initiatives inattendues.
1 Un terrain de tennis et un potager dans un village Rom
Le projet le plus #WTF
Où ? Bienvenue à Besence, dans le sud de la Hongrie. Ici, presque 100% des 126 habitants sont Roms… et chômeurs. Depuis le passage à l’économie de marché dans ce petit village perdu dans la cambrousse, le boulot a disparu et les résidents s’ennuient sévère.
Quoi ? Cool, un terrain de tennis (et un potager). On va pouvoir s’amuser et bosser un peu !
Crédits : Laokoon Filmgroup
Pourquoi ? « Pour nous le tennis, c’est le sport idéal, il suffit d’être deux pour y jouer ! », nous explique József Ignácz, le maire de Besence. « Ici les gens sont tous au chômage, ils n’ont plus confiance en eux. Le terrain de tennis c’est pour leur montrer qu’avec un peu de patience on arrive à tout. Et puis, c’est pas parce qu’on est Rom qu’on est condamnés à tresser des paniers ! » lâche l’édile, un cinquantenaire volontaire aux cheveux grisonnants. Pour résumer, un terrain de tennis à Besence, c’est un peu installer un golf 18 trous dans la cité des 4000…
Après le terrain de tennis en 2007, M. Ignácz lance l’opération « potager » en 2010 : « Notre démarche a toujours été stratégique, le tennis c’était juste la première étape. On a reçu une subvention européenne qui nous a permis d’installer un potager à côté du terrain. Le sport, c’est seulement l’été et une partie de la journée, le reste du temps est consacré à la culture des fruits et légumes ». Le mix patates-poivron-balles de tennis, un trio gagnant ? Oui pour M. le maire, l’objectif étant de réinculquer la « culture du travail » dans un village qui en a été coupé plus de vingt ans : « c’est pas toujours facile, y compris chez les jeunes, ils ont du mal à comprendre qu’un client ça ne peut pas attendre ! » confirme-t-il.
La thune : le financement s’est fait en 2 temps : un soutien à hauteur de 100.000 euros du gouvernement hongrois a financé notamment le terrain de tennis et l’entraîneur ; le Fonds Social Européen a lui versé 170.000 € à la mairie en 2010 pour aider à relancer la culture maraîchère dans le village.
L’impact : le bar de Besence s’est vidé au profit du terrain de tennis ! Grâce à l’enthousiasme du prof de tennis, tout le monde s’y est mis : femmes, enfants, adultes, et même le maire ! Des sponsors financent l’entretien du terrain mais le tourisme « ne s’est pas vraiment développé dans le village », reconnaît József Ignácz. Côté potager, 30 habitants – soit 80% de la population active du village – sont employés à cultiver les 10 hectares de terre. Aujourd’hui, les pastèques de Besence s’exportent jusqu’en Allemagne.
2 Les habitants gèrent le budget de leur quartier
Le projet le plus citoyen
Où ? A Orzepowice et Boguszowice, deux quartiers résidentiels de la ville de Rybnik, cité minière de 140.000 habitants, en Silésie (Pologne).
Quoi ? Ici les habitants gèrent une partie du budget municipal. Chaque quartier a bénéficié d’une enveloppe de 12.000 euros entre novembre 2009 et octobre 2010 pour développer les projets de leur choix : un événement ; un projet éducatif ; un investissement. Pour mieux décider du sort de leur quartier, les habitants se sont réunis régulièrement sous l’égide du CRIS (centre de développement des initiatives citoyennes de Rybnik).
Qui ? Piotr Maslowski, 36 ans, crâne lisse et petites lunettes, est un vétéran de la démocratie participative en Pologne. A la tête du CRIS de Rybnik, il conseille aussi le gouvernement polonais. Il a remporté en 2013 le prix des internautes d’Eurolider, un concours qui récompense les meilleures utilisations de fonds européens en Pologne. L’homme pourrait bien briguer le fauteuil de maire, à l’automne prochain…
Pourquoi ? « Aux élections municipales à Rybnik, le taux de participation n’est que de 40%. Non mais sérieux, c’est ça la démocratie ? » s’insurge Piotr Maslowski « Je veux montrer aux gens qu’ils peuvent vraiment avoir de l’impact sur les décisions locales ».
La thune : Le projet a démarré grâce à plusieurs fonds dont un coup de pouce norvégien. Difficile de connaître les chiffres exacts puisque le CRIS a géré plus de cent projets ces douze dernières années, la plupart ont été financés par le fond social de l’Union Européenne. Le centre emploie plus de 30 personnes, son budget est de 718.000 euros.
L’impact : Un terrain de jeux pour enfants a déjà été construit à Orzepowice et un studio d’enregistrement à Boguszowice. La jeunesse de Rybnik peut désormais se lancer dans l’auto prod en hip hop. « Et ça marche ! » s’exclame Piotr Maslowski. « Le type qu’on prend pour une racaille parce qu’il traîne devant son HLM, une vodka à la main, peut avoir des idées de génie, il faut juste lui donner sa chance ». Pionnière en matière de gestion participative en Pologne, l’initiative de Rybnik a été étendue à 50 autres villes du pays. A Rybnik, le modèle de budget participatif a même envahi certains lycées.
Le type qui traîne devant son HLM une vodka à la main peut avoir des idées de génie
3 Un stage de théâtre pour retrouver la gueule de l’emploi
Le projet le plus ambitieux
Où ? A Grigny, dans le 9-1 et ailleurs en banlieue.
Quoi ? ANIMA, une association locale offre – en coordination avec les services sociaux (AFPA, pôle Emploi…) – des stages de « valorisation de soi ». La cible ? Des publics en difficulté : chômeurs de longue durée, jeunes sans emploi… Au cours des 5 jours de stages, répartis sur 2 semaines, les participants reprennent confiance en eux et abordent plus sereinement l’entretien d’embauche. Fidel Pastor Sanz, directeur de l’association mélange mise en scène et psychologie : « On simule un entretien d’embauche : moi je joue le rôle du patron, la personne en recherche d’emploi joue son propre rôle. Elle peut recommencer autant de fois qu’elle veut. Les autres participants assistent à la scène et se livrent à des remarques constructives ». Puis on inverse les rôles : le recruté se fait recruteur. « Histoire de dire que le recruteur n’est pas juste là pour les saquer mais qu’il cherche un collaborateur qui lui est sympathique » témoigne Fidel Pastor Sanz.
On simule un entretien d’embauche : je joue le patron, puis on inverse
Qui ? Fidel Pastor Sanz, diplômé en gestion culturelle, 20 ans d’expérience dans le théâtre et une formation de psychothérapeute.
Pourquoi ? « La majorité des formations proposées pour retrouver un emploi sont axées sur la qualification professionnelle, la remise à niveau ou l’élaboration d‘un business plan. La situation personnelle ou l’état psychologique de la personne ne sont jamais pris en compte » constate Fidel Pastor Sanz. Lui a affaire à des chômeurs « très isolés, souvent discriminés, parfois dépressifs » qui débarquent en stress. « Ces personnes ont du mal à prendre la parole, ont déjà fait des dizaines de formations et désespèrent de ne pas trouver d’emploi ». Le besoin est donc réel de rapprocher les « décrocheurs » du monde de l’emploi : « Même si un demandeur d’emploi avance toutes les compétences requises, c’est le savoir être qui va lui permettre de décrocher le job. A compétence égale, le recruteur préfère une personne « bien dans sa peau » analyse le formateur.
La thune : Les ateliers de revalorisation de soi sont indirectement financés par le Fond Social Européen, via les FLIE (plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi) de l’Etat français. Chaque formation coûte 2.500 €.
L’impact : Mission en intérim ou CDD d’un an, Fidel Pastor Sanz a déjà vu plusieurs de ses participants décrocher des jobs. Mais il ne croit pas au miracle, la réalité du marché de l’emploi est cruelle : « Je n’ai pas les moyens de la changer. Si les participants ressortent de nos ateliers avec le sourire c’est déjà gagné » souligne-t-il.
4 Une campagne anti IVG
Le « projet » le plus scandaleux
Où ? Dans les rues et le métro de Budapest, en Hongrie
Quoi ? En mai 2011, les Budapestois ont vu fleurir une campagne d’incitation à l’adoption plutôt qu’à l’avortement. « Je sais que tu n’es pas prête à m’accueillir, donne moi plutôt au service de l’adoption, laisse-moi vivre ! » clamait un affiche rougeâtre un peu trash.
La thune : 416.000 euros issus du fonds Progress, une enveloppe qui s’adresse aux gouvernements pour permettre le renforcement des droits sociaux. Viviane Reding commissaire européenne à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, s’était offusquée de la mauvaise utilisation faite par le gouvernement hongrois de ce fonds européen.
L’impact : Le ministre de la famille, Miklós Soltész, s’est empressé d’adresser ses excuses. Pour lui, la campagne relevait de l’erreur d’interprétation. « La Hongrie ne désire pas remettre en question le droit à l’IVG » a-t-il affirmé, préférant mettre en avant le paradoxe hongrois : un nombre d’adoption extrêmement faible pour un taux d’avortement record au sein de l’UE. La Hongrie a été condamnée à retirer ses affiches, ça tombait bien la campagne venait de toute façon de prendre fin. On les a tout de même vues refleurir quelques mois plus tard – il s’agissait cette fois-ci d’un financement public hongrois. On n’a jamais entendu parler d’adoption en hausse par la suite mais qui sait…
« Donne moi plutôt au service de l’adoption, laisse-moi vivre ! »
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