Mais comment le mouvement initié par une lauréate de la « Quenelle d’or 2013 » est-il parvenu à créer un tel boxon au Ministère de l’Education nationale ? StreetPress remonte le fil de l’histoire, qui a démarré vendredi dernier, dans la région Rhône-Alpes. Et publie les SMS envoyés, les mails de menaces reçus par des parents d’élèves, mais aussi la réaction, ferme, d’un recteur d’académie qui encourageait carrément lundi les inspecteurs à effectuer des signalements à la police nationale.
Ecole buissonnière « Toute cette histoire est hallucinante. Comment une rumeur peut-elle avoir un tel écho ? », s’alarme un proche de l’Éducation nationale dans le département du Rhône. Il a découvert la « Journée de retrait de l’école », la semaine dernière :
« Des parents d’élèves ont reçu des SMS les incitant à ne pas mettre leurs enfants à l’école pour protester contre le soi-disant enseignement de la théorie du genre à l’école »
Vendredi, une quinzaine d’enfants manquaient à l’appel dans une école de sa commune et environ 25 dans une autre. Des établissements qui accueillent des jeunes de milieux populaires. Progressivement le phénomène prend de l’ampleur : d’abord l’agglomération lyonnaise et l’Alsace, donc. Puis lundi l’Île-de-France, avec des pics d’absentéisme à Meaux (40% dans un établissement et au total 20% des 3.500 écoliers de ZUS ne s’étaient pas rendus en classe, selon Le Parisien). Même scénario dans l’Oise (jusqu’à 60% dans une maternelle de Creil) et le Val-d’Oise. Dans ce département, des parents membres de la FCPE, qui a pris position contre la « journée de retrait de l’école » reçoivent des mails menaçants. Toutes les infos remontent au ministère. Dès lundi, il fait parvenir, via les académies, un mail à toutes les écoles de France, demandant aux enseignants « la plus grande attention (…), compte tenu de l’ampleur de la mobilisation ».
La viralité du phénomène, via SMS, inquiète en haut lieu. Au ministère de l’Éducation nationale, on ouvre discrètement une enquête pour comprendre de quelle manière les militants de « La Journée de retrait de l’école » se sont procurés les numéros des parents d’élèves.
A l’origine de « la rumeur », une expérimentation d’enseignement de l’égalité homme / femme, dans dix académies.
Who is the boss ? A l’origine de cette mobilisation, la très charismatique Farida Belghoul : « cinéaste, militante et romancière ». Elle se fait un nom en organisant la seconde « marche pour l’égalité et contre le racisme », en 1984. A l’époque elle dénonce « le droit à la différence comme une forme voilée de l’exclusion ». En 1986 elle publie le roman « Georgette », primé à l’époque et aujourd’hui réédité par Kontre Kulture, la maison d’édition d’Alain Soral. Depuis l’année dernière, elle s’est rapprochée de l’essayiste antisémite avec qui elle donne des conférences. Le 21 juin dernier elle reçoit même des mains de Dieudonné la « quenelle d’or de la meilleure interview », pour un entretien accordé au site Égalité et Réconciliation, l’association d’Alain Soral.
Ses soutiens ne se cantonnent pas à la galaxie Soral. On la retrouve invitée de Radio Courtoisie, prônant l’alliance entre « les vrais chrétiens » et les musulmans face à « l’enseignement de la théorie du genre ». Elle intervient, toujours sur ce sujet, dans un lycée privé aux côtés des catholiques de l’AFC et des évangéliques du Cnef. Béatrice Bourges, comme Christine Boutin ou les ultra-traditionalistes de Civitas, soutiennent ouvertement son « combat ». Toute la galaxie réac’ se met au service de la cause.
Panique à bord Si Farida Belghoul multiplie les interventions sur les médias de la fachosphère, elle refuse de répondre « aux journalistes du système » et demande aux « responsables des comités JRE » d’en faire autant. Chou blanc pour StreetPress (oui, il semblerait que nous soyions un « média du système » !) qui a pourtant contacté une dizaine de comités locaux. Faute d’infos de ce côté-là, la presse ne peut compter que sur le ministère de l’Éducation nationale pour obtenir informations et chiffres. Du côté de la rue de Grenelle on ne sait quelle stratégie adopter. Lundi, puis mardi matin, StreetPress a tenté sans succès d’obtenir une réaction des équipes de Vincent Peillon.
Dans l’entourage du ministre, on confesse hésiter à répondre, de peur d’être accusé de mettre de l’huile sur le feu. Mais finalement c’est le ministre en personne qui prend la parole. D’abord le matin en marge d’un déplacement, puis l’après-midi à l’Assemblée nationale en réponse à une question au gouvernement, opportunément posée par un député socialiste. La machine est lancée. A 15h30, coup de fil aux rédactions pour inviter les journalistes à se rendre trois quart d’heure plus tard à une conférence de presse improvisée.
Conf’ de presse Sous les ors de la république, quelques chaises disposées à la va-vite. Face à la dizaine de journalistes venus en urgence Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire, distille la position officielle du gouvernement :
« Il n’y a pas d’enseignement de la théorie du genre à l’école. Il n’existe qu’un programme d’enseignement de l’égalité hommes / femmes, expérimenté dans une dizaine d’académie : l’ABCD de l’égalité. Tout est en ligne, on n’a rien à cacher. »
« La mobilisation était très circonscrite, localisée dans à peine une centaine de communes. »
Et de conclure en demandant aux médias de faire œuvre de pédagogie. Face caméra on tente donc de minimiser l’ampleur du phénomène mais en coulisse on s’active, visiblement débordé par l’affaire. Dès vendredi, Sébastien Sihr, secrétaire générale du SNUipp, syndicat majoritaire dans le primaire, alerte le ministère. Il dénonce « une campagne de désinformation » et réclame « un soutien aux enseignants ». Rue de Grenelle, on promet de mettre à disposition des écoles, des outils pour expliquer de nouveau l’ABCD de l’égalité. Lundi, un courrier est adressé à tous les rectorats de l’Hexagone qui le répercutent auprès des écoles. Sur le document, affiché dans certaines salles des profs, on peut lire :
« La plus grande attention s’impose, compte tenu de l’ampleur de la mobilisation et des arguments avancés pour convaincre les parents, qui mettent en cause avec violence la manière dont les personnels participent de la mission d’éducation confiée à l’école. »
Un peu plus loin ils demandent de « faire remonter toute information qui vous paraîtrait mériter d’être signalée. »
Police Dans une autre académie, un mail que nous avons pu consulter aurait été adressé par la direction départementale des services de l’Éducation nationale aux inspecteurs demandant de « signaler ce type de démarches, notamment lorsqu’elles surviennent sur la voie publique, [au] correspondant de la police nationale. » Contactée par StreetPress, l’académie ne souhaite pas commenter ou démentir l’authenticité de ce document.
Le document envoyé par le ministère et affiché dans certaines salles des profs.
Ce mercredi, on ne rigole plus du tout. A la sortie du Conseil des ministres, le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, a demandé aux responsables d’établissements de « convoquer les parents » qui ont retiré leurs enfants de l’école. Objectif :
« Expliquer la réalité des choses (…) et rappeler que dans notre pays il y a une obligation scolaire à l’égard des enfants. »
Viralité Si la mobilisation inquiète tant en haut-lieu, c’est que personne ne semble l’avoir réellement vu venir tant la viralité était forte. Guillemette, mère de quatre enfants et déléguée des parents d’élèves dans une école d’Auvergne explique à StreetPress « avoir reçu le SMS par une amie musulmane, jeudi dernier. » Cette militante de l’Alliance VITA, une association anti-avortement fondée par Christine Boutin, décide de ne pas mettre ses enfants à l’école, après avoir prévenu les enseignants. L’établissement pourtant ne participe pas au programme ABCD de l’égalité, « mais ça va venir », assure l’infirmière de 33 ans:
« L’éducation nationale reprend les thèses du lobby LGBT et veut rendre neutre les sexes en enseignant à nos enfants qu’on ne naît pas garçon ou fille mais qu’on le devient. A force de leur demander s’ils sont vraiment hétéros et pas un peu bi ou homos, ils sont perdus. »
Elle a elle-même relayé le SMS auprès d’autres parents d’élèves. C’est cette viralité qui inquiète le monde de l’éducation. Le SNUipp a demandé au ministère de l’Éducation nationale d’ouvrir une enquête pour savoir comment les militants se sont procurés les numéros de téléphone. Face caméra, la rue de Grenelle explique qu’une telle démarche « ne rentre pas dans ses attributions », mais en coulisse, on nous confirme qu’on lance une enquête.
@Sh0upette publie sur twitter un SMS reçu a Nancy. Guillemette explique avoir vu le même SMS « quasiment au mot près », atterrir sur son portable, en Auvergne !
Menaces La FCPE, principale fédération de parents d’élèves, dénonce par communiqué cette opération de « désinformation » dont le leitmotiv est « l’entretien de la peur, le repli sur soi et la famille », mais refuse de répondre aux sollicitations de StreetPress. « Tout le monde est scandalisé, mais on ne voudrait pas non plus mettre de l’huile sur le feu », témoigne un adhérent de la fédération.
L’association marche d’autant plus sur des œufs que certains de ses membres ont reçu des mails de menace. StreetPress a pu consulter l’un de ces courriers :
« FCPE stoppez vos actions de soutien à la Théorie du genre. Vous devez la fermer sur les programmes de journée de retrait. (…) Nous avons lancé les enquêtes nécessaires sur les militants FCPE, avec l’aide de nos correspondants des forces de sécurité (une première en France). *Nous savons qui vous êtes, ce que vous faites, comment vous agissez, et avec qui vous communiquez 78 95 77 … »
Un peu plus loin (fautes d’orthographe d’origine) :
«Nous les musulmans on a pas l’habitude de plasenter avec ces choses là. Il y aura des suites si certains ne comprennent pas le message. Les gens du Val d’Oise sont particulièrement surveillés.»
Un lien dans le corps du mail renvois vers le site conspirationniste « Chaos contrôlé ».
Le directeur général de l’enseignement scolaire, à l’occasion de la conférence de presse d’hier, promettait par ailleurs que le ministère déposerait plainte si des enseignants étaient directement mis en cause.
Muslims ? L’auteur de ce mail se revendique donc musulman. Impossible de vérifier, mais si les observateurs notent que l’action de Faridha Belghoul a rencontré un certain succès auprès d’un public musulman, l’affaire n’est pas aussi simple. Car d’autres écoles à la sociologie similaire ne se sont que très peu mobilisées. Derrière ces épicentres, on peut voir la présence de relais locaux bien implantés.
Ainsi à Asnières, le collectif « Touche pas à nos gosses » avait invité Faridha Belghoul, le 11 janvier dernier. Un mouvement local créé par Zouhair Ech Chetouani, par ailleurs porte parole d’un collectif de locataires d’un bailleur social, également cofondateur du collectif « Ni Proxo Ni Macho » en réaction à l’association « Ni Pute, ni soumise ». En Alsace, ce serait la communauté Turque qui se serait beaucoup mobilisée, explique-t-on au ministère. Comme Guillemette en Auvergne, on a également vu des catholiques suivre le mouvement.
Conséquences Violaine, 39 ans est enseignante dans le sud de la France. Elle se dit choquée par toute cette affaire :
« Je suis touchée à double titre, en tant qu’institutrice et en tant qu’homosexuelle. Cette rumeur détruit la confiance qu’on a instaurée avec les parents. Je le vois tous les jours et je pense qu’il faut vraiment prendre le temps de leur expliquer ce qu’on enseigne pour ne pas laisser ce genre de discours se propager. »
Le gentil papa, interrogé par BFM TV, est en fait un militant actif à l’initiative de la venue de Faridha Belghoul dans sa commune.
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