Garges-lès-Gonesse (95) – « Vous savez, on est traumatisés », lâche Kadiatou Saounera. Elle s’interrompt. Des larmes coulent sur le visage de cette mère de famille de 46 ans, habillée d’une robe africaine en tissu à fleurs rouges. « Un policier m’a craché dessus, comme si j’étais un animal. Pourquoi ils nous ont traités comme ça? », se demande t-elle, assise dans son canapé, le bras toujours en écharpe, 10 jours après l’intervention de la police façon western venue interpeller son fils, suspect dans une affaire de vol de sac à main avec violence. « Ils ont traité mon jeune fils de 5 ans de macaque, frappé ma fille. » Son mari, assis à ses côtés n’a pas non plus échappé aux coups : « Ils m’ont frappé, frappé, encore frappé », raconte d’un ton mesuré, Thierno Saounera, 61 ans.
Plus tard dans la soirée, les habitants de cette tour HLM de la place Lamartine à Garges-lès-Gonesse (95) racontent le déchaînement de violence. Une à une, les portes de l’immeuble s’ouvrent et chacun y va de son témoignage indigné. Un petit groupe se forme dans la cage d’escalier. Chacun nous donne son prénom et son nom, avec toujours la même remarque: « Nous, on n’a rien à cacher ! » 9 voisins avec qui StreetPress s’est entretenu et qui corroborent le récit de la famille Saounera. StreetPress a également pu consulter les témoignages d’habitants délivrés aux gendarmes, consignés dans le cadre d’une plainte déposée à la gendarmerie de Moisselles (95) et qui racontent la même histoire : les coups de matraque qui pleuvent dans l’escalier, jusqu’à « la scène finale » au pied de l’immeuble : « Une policière braque son arme sur moi. Elle m’a dit “Tu bouges, je te bute !”, se souvient la mère de famille. Puis ils ont tiré au flashball » sur un groupe d’habitants, touchant plusieurs voisins dont Alassane Camara… 70 ans !
Jointe par StreetPress, la Préfecture du 95 confirme qu’une enquête du parquet est en cours sur les agissements des policiers lors de cette opération « menée par la police de Stains » (93). Voici le récit du doux réveil policier de cette tour HLM, située à quelques centaines de mètres de la gare RER de Garges-Sarcelles.
« C’est qui ? – La police ! »
« Boum, boum, boum – Les bruits m’ont réveillée, vers 6h15 » du matin, ce jeudi 17 octobre. Kadiatou Saounera, la mère de famille, se dirige vers la porte de son appart’. « – C’est qui ? – La police ! » Son voisin d’en face, chauffeur de taxi, est rentré de son travail vers 3 heures du mat’. Il glisse sa tête par l’entrebâillement de la porte :
« J’ai vu trois policiers toquer avec une matraque », raconte Saïd Salh. Malgré les injonctions de la police, il reste sur le pas de la porte et assiste à la suite des événements. Prise au saut du lit, la mère de famille de 46 ans peine à trouver ses clefs.
« Je leur ai dit, c’est ça la justice française? » !
Quand elle ouvre enfin, les agents se précipitent à l’intérieur. « Ils m’ont bousculée, mais je ne suis pas tombée. Puis l’un des policiers m’a attrapée au cou », témoigne Kadiatou. Ils la plaquent contre le mur à l’entrée de la cuisine, en la maintenant toujours à la gorge. Elle tente de protester: « Je suis asthmatique! » Ils se précipitent sur Amara, 18 ans, lui aussi réveillé par les bruits. Très vite, ils le menottent. Toute la famille, ou presque, se retrouve dans le petit couloir. La fille aînée, Diariatou, tente de se diriger vers la salle de bains. Les policiers lui barrent le passage.
« C’est ça la police ? », lâche la jeune femme de 22 ans. En guise de réponse: « Si t’es pas contente, rentre dans ton pays ! », nous raconte sa mère.
Amara demande à aller aux WC, les policiers refusent. Le ton monte. « Je n’arrêtais pas de demander aux policiers de laisser mon fils aller aux toilettes. » La réponse est lapidaire: « Ferme ta gueule », affirme la mère de famille. Un policier lui balance une gifle. A ce moment, la situation devient confuse : les policiers arrosent à coups de lacrymos. La mère, puis sa fille, bousculées par des agents, s’écroulent sur le sol de la cuisine. Amara, menotté, est « exfiltré » de l’appart’. Sa sœur part à sa suite quelques instants plus tard, armée d’une paire de chaussettes. « J’avais vu qu’il n’en avait pas ». Samba, l’aîné âgé de 26 ans, se précipite à l’extérieur, un marteau à la main criant toujours, selon sa mère: « Qui a frappé ma daronne?! »
Crachats
Sa mère se précipite dans l’escalier pour le raisonner. Dans sa course pieds nus, elle croise des policiers: « Sans rien me dire, ils m’ont mis un coup de poing ». Kadiatou nous montre des photos de son visage tuméfié, la lèvre enflée. « Je leur ai dit, “C’est ça la justice française?” Un me répond “Ferme ta gueule, sale noire!”. Je lui ai dit “Je n’ai pas une gueule, j’ai une bouche monsieur”. Là, ils m’ont mis une gifle. Je n’ai pas répondu. Puis m’ont mis une autre gifle. Ensuite, il m’a craché dessus, comme si j’étais un animal. Là, j’ai rendu le crachat. » En guise de réponse, un coup de matraque sur l’épaule. « Moi je criais et je pleurais », quand les agents la remontent jusqu’à son étage.
Thierno Saounera, dans l’escalier où il a été frappé par des policiers. !
Le père tente également de retrouver son fils aîné. « Je ne voulais pas qu’il fasse une bêtise ». Dans l’escalier, il croise des policiers remontés entre temps, en nombre cette fois-ci. L’immeuble résonne des cris des voisins et de la famille. Sans prévenir, un policier lui balance un coup de poing, témoigne Thierno Saounera. Puis un coup dans les jambes. L’homme de 62 ans s’écroule dans les escaliers, toujours vêtu d’un simple peignoir.
« Les policiers m’ont maintenu les bras dans le dos, avec une matraque. En même temps, ils me tapaient, ils me tapaient, ils me tapaient », raconte l’homme. Ibrahima Sagna, habite au 7e étage. Le jeune homme, un ancien militaire réveillé par le bruit, assiste à la scène : les policiers agrippent par le col le père de famille, le menottent. Ils tentent de lui faire ouvrir l’appartement. « Je n’ai pas les clefs », explique M. Saounera. Les policiers décident finalement de l’embarquer.
« Sale macaque »
A l’intérieur de l’appartement, les deux plus jeunes enfants de la famille Saounera se terrent, apeurés. « Quand les policiers sont partis, j’ai demandé à mes enfants de me laisser entrer. » Salif, 12 ans, ouvre la porte. « J’ai trouvé Ali, mon fils de 5 ans, blotti sur son lit, complètement paniqué ». L’enfant raconte avoir reçu une gifle, le visage marqué par le coup, comme le montre une photo que nous présente le père de famille. « Un policier l’a traité de macaque, je l’ai entendu depuis l’escalier », raconte sa mère.
Un peu plus bas dans l’immeuble, Diariatou, la grande sœur, croise un groupe de policiers qui remontent. L’atmosphère est quasi irrespirable, tant les forces de l’ordre ont usé de lacrymogènes. « Un des policiers m’a dit “Tu fais moins la maline!” » Il lui balance une gifle. « Puis il m’a traitée de sale pute. » Seconde gifle, la jeune femme tombe. « Ensuite ils m’ont mis un gros coup de pied et m’ont frappée à coup de matraque, alors que j’étais à terre. » Sur le certificat médical que nous avons consulté, le médecin constate un « traumatisme crânien sans plaie », un « hématome du cuir chevelu » et une « contusion » à la main droite. Ibrahima Sagna, l’ancien militaire, aperçoit les policiers frappant Diariatou. « Je suis descendu, en passant je les ai vus lui mettre des coups. Je suis sorti, et juste devant l’immeuble j’entends des policiers balancer “On va se les faire, on va se les faire !” »
« Tu bouges, je te bute »
Une fois assurée que ses enfants sont à l’abri dans l’appartement, Kadiatou Saounera enfile une paire de chaussures et descend en bas de la tour chercher son mari. « Elle criait ‘‘Si vous emmenez mon mari, emmenez-moi aussi’‘ », raconte une voisine. Sur le terre-plein, les forces de l’ordre sont tendues: « Une policière braque son arme sur moi. Elle m’a dit “Tu bouges, je te bute” », raconte la mère de famille. Mais elle continue de répéter: « Pourquoi vous avez pris mon mari ? Prenez-moi avec ! » Des policiers se précipitent sur elle. Elle prend un coup de matraque. Elle s’écroule. Alassane Camara, un vieil homme de 70 ans, est sorti pour aller à la prière du matin, en compagnie d’un de ses voisins. « Je me suis précipité vers Madame Saounera pour l’aider à se relever. Ils m’ont dit “Dégage”. Ce à quoi j’ai répondu ‘‘Vous frappez une femme, je ne dégagerai pas.’‘ » M. Camara prend alors un coup de matraque, puis un agent lance à son collègue armé d’un flashball: « S’ils ne dégagent pas, tu sais quoi, allume-les ! », rapporte Ibrahima Sagna. Le policier fait feu et tire dans le tas. Le vieux monsieur soulève sa djellaba blanche et nous montre le bleu laissé sur sa cuisse par le tir de flashball. Un autre touche Ibrahima, l’ancien militaire, au niveau du genou.
S’ils ne dégagent pas, tu sais quoi, allume-les !
La fille aînée de la famille Saounera sort de l’immeuble à ce moment-là :
« J’ai attrapé ma mère et je l’ai tirée à l’intérieur. » Des policiers poussent M. Camara dans le hall de l’immeuble, avant de bloquer la porte. Madame Diabira se penche à sa fenêtre. D’en haut, elle assiste à toute la scène.
« Ils m’ont dit “Ferme la fenêtre” et ils ont tiré avec le lance-boules. » Sur une photo on peut voir un impact sur le rebord de sa fenêtre. Juste après, les policiers, plusieurs dizaines selon les témoignages des habitants, se précipitent vers leurs véhicules pour quitter les lieux, emmenant avec eux Amara et son père Thierno, pour les placer en garde à vue. Il est 6h35.
Marteau
Les policiers reviendront à 22 heures pour interpeller le grand frère Samba, placé depuis le 17 octobre en détention provisoire en attendant son procès pour « violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique ». Madame Diabira, qui réside au 8e étage affirme à StreetPress avoir croisé Samba un marteau à la main, alors qu’il venait de sortir de l’appartement : « On l’a raisonné et on l’a fait aller chez M. Camara ». Le jeune homme restera donc en prison jusqu’à sa présentation au juge le 22 novembre prochain, en même temps que son père qui a, lui, été remis en liberté.
Quant à Amara, que la police était venue interpeller, il a été relâché le jour-même. Une rapide enquête aura montré que le jeune homme de 18 ans, accusé de vol de sac à main avec violence en 2012, était à l’hôpital le jour de l’agression.
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