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    20/09/2013

    « On entendait les os qui craquaient quand les pompiers l'ont sorti du bassin »

    A la pêche aux morts dans les canaux parisiens

    Par Robin D'Angelo

    Depuis 2010, plus de 30 cadavres ont été repêchés dans les canaux de la région parisienne. De quoi alimenter les légendes urbaines à propos d'un tueur sadique bien que le plus souvent il s'agisse de suicides ou de SDF alcoolisés.

    Il s’en souvient comme si c’était hier : « Je suis arrivé à 14h15 précises, au début de mon service. Et là, tu vois, là, sous le pont, à 50 mètres, le cadavre était là ! Une arme à la main ! » Les yeux pétillants, Nadim est intarissable quand il s’agit de raconter à ses collègues agents de sécurité, regroupés en petit cercle autour de lui, cet après-midi de l’été 2012 où il a vu un cadavre.

    Sur les berges du canal Saint-Denis, en dessous du pont de l’avenue Corentin Cariou, et à deux pas de la station de métro du même nom, c’est un corps sans vie, la tête défoncée par une balle de pistolet, qui gît au milieu des mauvaises herbes et des détritus. Boîte à ultra-violets, appareil photo, uniformes : depuis son poste sur un petit embarcadère en face de la scène du crime, Nadim, la quarantaine tout en muscles, ne rate pas une miette du ballet de la police scientifique, façon NCIS. « La boîte à ultra-violets, ça sert à repérer les traces de sang », annonce-t-il avec l’aplomb du celui qui sait. Avant de se faire couper par un collègue à l’accent antillais haut-perché :

    « Mais tu parles de quel cadavre ? Le suicidé ou le bâillonné ? »

    Légendes urbaines

    Des cadavres dans le canal ?! Au centre commercial « Le Millénaire », situé entre le canal Saint-Denis et le bassin d’Aubervilliers, des histoires de corps en putréfaction ou de cadavres qui flottent, les agents de sécurité en sortent comme un magicien fait jaillir des lapins de son chapeau. « Moi, j’en ai vus 5 depuis que j’ai commencé en 2011 ! » s’amuse le doyen de l’équipe, tandis qu’un matelot, lunettes de soleil à la Kanye West vissées sur le pif, se demande s’il doit croire ou non cette rumeur de « la prostituée cimentée » qui circulait lors de son arrivée sur le site il y a 2 ans :

    « Ils avaient cimenté une prostituée vivante dans une bassine ! Et quand le ciment était sec, ils l’ont mise à l’eau et elle a coulé ! »

    Guy Georges appréciera…

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/mort-canal1.jpg

    A la une, à la deux ... / Crédits : Benjamin Barda

    Pêche au gros

    Plus véridique, l’histoire de William, jeune métis avec des frisettes sur le crâne. Il était là quand, à l’hiver 2013, devant l’entrée du centre commercial, le cadavre d’un homme a été repêché… pieds et poings liés. Le matelot, qui travaille sur la navette qui relie le métro Corentin Cariou au « Millénaire », se souvient de ce début d’après-midi où, alors qu’il s’approchait du quai, un vigile a ordonné au bateau de faire demi-tour.

    « “Ne faites pas de remous !” qu’il criait.  Il avait vu un corps flotter, mais qui venait de recouler dans le bassin. On avait peur de se le prendre dans les hélices. »

    Un des collègues de William a « des remontées de vomi » quand il repense à « ce corps tout blanc et tout gonflé qui devait être sous l’eau depuis au moins 3 jours » :

    « On entendait les os qui craquaient quand les pompiers l’ont sorti du bassin à l’échelle. »

    Chiffres

    Depuis 2010, le service des canaux de la ville de Paris tient le décompte des corps repêchés dans les canaux de la région Île-de-France : il y en a eu 34. « Mais ce ne sont que ceux dont on est mis au courant », insiste un fonctionnaire pour qui ce chiffre est « sous-évalué ». La brigade fluviale, elle, ne souhaite pas communiquer sur le sujet.

    D’après le décompte municipal, entre 2010 et 2013, 11 morts violentes ont eu lieu dans les canaux de Paris intra-muros. Le bassin de la Villette et l’écluse n°1 du canal Saint-Denis se disputent la première place, avec chacun 3 cadavres repêchés. En banlieue, big up au canal Saint-Denis qui concentre 18 cadavres sur les 34. C’est l’année 2011 qui a été la plus morbide avec 13 corps retrouvés dans tout le réseau. La majorité des corps sont découverts par des agents d’entretien de la ville.

    Suicides et SDF

    Principalement, il s’agirait de suicides. « L’hiver venu, quand l’eau est froide et que les gens se sentent seuls, ils se jettent depuis les ponts. Ou même depuis les berges », croit savoir un fonctionnaire du service des canaux. Réussir son coup dans la mer d’huile des canaux franciliens ne serait pas impossible : « Croyez-moi que si en plus, ils prennent des médicaments, on ne peut pas en réchapper ! »

    Gilbert Grinstein, le commissaire de police du 10e arrondissement (la juridiction du canal Saint-Martin) s’inquiète lui, des « gens alcoolisés » qui tombent dans les eaux froides. Et qui parfois n’en réchappent pas :

    « Cette année, c’est un SDF polonais qui s’est noyé. Il était complètement saoul et avait roulé dans le canal. En plein hiver, il n’y avait personne sur les berges pour le secourir. »

    Une histoire tragique qui semble tristement banale puisque l’été dernier au centre commercial « le Millénaire », c’est un SDF Indo-Pakistanais, cette fois, qui est « tombé à pic » dans les eaux verdâtres du bassin. Un agent de sécurité qui a assisté à la scène raconte :

    « On l’avait vu 10 fois, 15 fois, bourré avec ses amis. On leur disait de faire attention. Mais là, il a trébuché. Il devait vraiment être bien raide, parce qu’il est tombé dur. »

    Le clochard coule et personne ne plonge pour essayer de lui sauver la vie.

    Nouveau détective

    Certains corps repêchés dans les canaux parisiens défrayent la chronique. Comme pour l’affaire du « tueur de l’Ourcq », jugée en septembre 2008. Cyril Koskinas, 24 ans à l’époque des faits, attache « sa meilleure amie » et une prostituée, avec sangles, cordes et menottes, puis les bâillonne avec un godemiché. Le jeune homme filme les deux femmes qui s’étouffent, tout en se masturbant. Avant de les pousser dans le canal, encore vivantes. Leurs corps seront retrouvés en juillet 2004 à la faveur d’un mouvement de l’écluse de Fresnes-sur-Marne. Cyril Koskinas prendra perpet’ dans un procès largement suivi par la presse.

    Autre meurtre, même canal. En 2003, un agent d’entretien du service des canaux de la mairie de Paris tombe sur une voiture à demi immergée à quelques mètres de l’écluse de Sevran. Dedans, les pompiers découvrent le corps d’un jeune homme lardé de coups de couteau. Il s’appelle Silvino et a 23 ans. Hébergé par la famille d’un ami pour le dépanner, il squattait depuis plus d’un an le canapé de ses hôtes mais se montrait inhospitalier avec eux. La famille ne trouve pas d’autre solution que de zigouiller l’encombrant invité et tente de faire disparaître le corps dans le canal de l’Ourcq.

    Corps lesté

    Le commissaire Gilbert Grinstein

    Mais cacher un corps dans un canal, le journaliste spécialiste des faits divers, Serge Garde, ne le recommanderait pas. « Lorsque la mort est installée, il y a des réactions chimiques. Et il va y avoir de la fermentation. Pschiiit ! Si le corps n’est pas lesté, le cadavre remonte. » « Finir sur les grilles d’une écluse : il n’y a que dans les romans de Simenon qu’on voit ça ! », s’amuse le commissaire Grinstein, en poste à Paris depuis 1996. Il livre d’autres ficelles : « Un noyé, il tombe plutôt à pic. Au début, il dérive entre les eaux mais il remonte très vite, et souvent près de l’endroit où il est tombé. » Serge Garde, qui explique avoir appris le métier grâce à l’entremise d’un médecin légiste, d’ajouter que l’eau laisse aussi des indices :

    « S’il n’y pas d’eau dans les poumons, c’est qu’il n’y a pas eu de noyade asphyxique. A l’inverse, s’il y a de l’eau, on apprend des choses sur l’endroit où le noyé a été tué. Grace aux brins d’herbes, aux particules minérales, etc…»

    «Si le corps n’est pas lesté, le cadavre remonte» Serge Garde

    Au service des canaux de la ville de Paris, on rigole de ces « criminels [qui] pensent qu’on ne retrouve pas les cadavres. » « De toute façon, il y a des manœuvres d’assèchement tous les 10 ou 12 ans. » Plus généralement, ce sont des voitures qu’on retrouve, comme en 2008 lors du « chômage » du canal Saint-Denis où plus de 50 véhicules ont été collectés. « Souvent des arnaques à l’assurance. Mais on retrouve le type. Car ça ne suffit pas d’enlever les plaques, il y a aussi le numéro du moteur », jubile un fonctionnaire. En 1986, l’assèchement du canal de l’Ourcq permettra aussi de retrouver le cadavre d’une femme ligotée dans le coffre d’une voiture.

    Un crime, une époque

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/mort-canal2.jpg

    Very bad trip ... / Crédits : Benjamin Barda

    Faut-il craindre pour sa pomme si on traîne aux alentours des canaux à Paris ? « Ce qui est intéressant avec les faits divers, c’est qu’ils sont un reflet de notre société », explique Serge Garde, coauteur du Guide du Paris des faits divers. Dans les années 1900, ce sont par exemple des fœtus qu’on voyait régulièrement flotter dans le bassin de la Villette ou dans le canal Saint-Martin. « C’est pour le moins révélateur d’un problème lié à l’absence de contrôle des naissances ! » Anne Delaplace, qui organise des balades sur le canal de l’Ourcq autour du thème « Paris Criminel », insiste, elle, sur les crimes liés à la contrebande qui prévalaient à la même époque. Car au niveau du pont de Flandres, il y avait une barrière d’octroi. Le sol était un vrai gruyère à cause des tunnels de contrebande. C’est ce territoire de docks brumeux, aux marges de la ville, qui sera un terreau fertile pour les romanciers noirs des 50’s. Simenon et Léo Malet en tête.

    «Ca ne suffit pas d’enlever les plaques, il y a aussi le numéro du moteur !» Un fonctionnaire

    Aujourd’hui, le dernier meurtre qui a eu lieu canal Saint-Martin est l’assassinat d’un jeune homme d’origine pakistanaise. Âgé de 22 ans, il a été retrouvé flottant au niveau du quai de Valmy en février 2013, une entaille au crâne. Le parquet de Paris explique à StreetPress que l’enquête préliminaire suit toujours son cours. « Dans le secteur, vous avez beaucoup d’affrontements entre bandes indo-pakistanaises », assure le commissaire du 10e arrondissement. Mais pour Gilbert Grinstein, si le canal est criminogène aujourd’hui, c’est d’abord parce que c’est un lieu privilégié des Parisiens pour faire la fête :

    « Le principal problème, c’est l’alcool. Quand on a trop bu, on est vulnérable et on devient une victime. Faut pas se voiler la face, il y a des prédateurs qui rôdent dans le quartier. Attouchements, viols et ainsi de suite, ça arrive très souvent l’été quand les petits groupes se disloquent au beau milieu de la nuit. »

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