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    11/12/2009

    Le bolivien réélu avec plus de 63% des voix

    Evo Morales: gauche zen à la Lula ou rouge vénère version Chavez?

    Par Robin D'Angelo

    Morales est sorti renforcé du scrutin présidentiel. Chavez et Lula, les deux ténors de la gauche sud-américaine se le disputent. Mais le Bolivien suivra-t-il le modèle du colérique vénézuelien ou du barbu brésilien?

    Réponse en 5 rounds avec Laurent Lacroix spécialiste de la Bolivie.

    Round 1: Le parcours politique

    « Il faut aller chercher le modèle de Morales plutôt du coté de Lula. Pour la bonne raison que tout deux ont un parcours syndical. Le PT (ndlr : le Parti des Travailleurs de Lula) et les organisations paysannes, notamment cocaleras (ndlr : dont Morales a été un dirigeant), ont à peu près la même structure organisationnelle. Je ne pense pas que Hugo Chavez se soit un jour engagé syndicalement. Chavez, c’est un militaire aussi homme politique.
    Après démocratiquement, je crois que les trois présidents sont légitimes. Il n’y a pas de différences. Sauf que Morales est le plus légitime parce qu’il a été très largement élu avec 63% des suffrages (ndlr : Lula a lui aussi été élu avec plus de 60% des voix en 2006). Et déjà en 2005 il a eu la majorité absolue dès le premier tour. Chavez par contre est toujours passé par deux tours. Et il a modifié la constitution … c’est donc quand même beaucoup plus flou dans le cas vénézuelien. »










    Morales est un syndicaliste populaire comme Lula. Alors que Chavez est un militaire plus contesté

    Round 2: L’engagement révolutionnaire

    « Grossièrement en Amérique du Sud, il y a la gauche révolutionnaire, menée par Chavez et l’alliance Bolivarienne, et la gauche reformiste de Lula et Kirchner. Evo Morales, il est en fait à la fois révolutionnaire et réformiste. Il utilise les outils de Chavez et une mise en scène chaviste pour faire passer des réformes à la Lula.
     
    Reprenons par exemple le cas de la « nationalisation des hydrocarbures » assez révélateur. Il ne s’agit pas d’une nationalisation du secteur ou de la filière mais en fait d’une nationalisation de la propriété de la ressource naturelle. Toute l’exploitation est laissée aux multinationales, en l’occurrence Petrobras (ndlr : entreprise pétrolière nationale du Brésil). Au Venezuela, le gouvernement à la mainmise sur une bonne partie de la filière. 

    On pourrait aussi parler de la reforme agraire, sur laquelle Evo Morales a reculé, contrairement à Chavez».


    Morales est moins révolutionnaire que Chavez. Il est réformateur comme Lula

    Round 3: La scène Internationale

    « Chavez a été le premier à se rapprocher de Evo Morales, à en faire une figure de la lutte anti-impérialiste, et il a offert des moyens financiers assez conséquents. D’un point de vue financier c’est le Venezuela et Cuba qui aident la Bolivie. Il ne faut pas oublier que Morales a signé son intégration à l’Alba (ndlr : alliance bolivarienne menée par le Venezuela) avant même de déclarer la nationalisation des hydrocarbures.
     
    Aussi l’idée de Chavez, qui est partagée par Evo Morales, c’est d’instaurer une entente entre les entreprises nationales qui exploitent le pétrole et le gaz. Chaque pays aurait une entreprise nationale forte, avec au niveau politique des alliances continentales. Quand Evo Morales a nationalisé en 2006 le gaz et le pétrole, cela a effrayé Lula et mis en évidence la concurrence brasilo-vénézuelienne pour l’hégémonie politique en Amérique Latine».


    Morales est un anti-impérialiste comme Chavez. Il se démarque de Lula

    Round 4: Le respect des institutions républicaines

    « Le cas bolivien et le cas vénézuelien sont très différents. Chavez a modifié la constitution pour prolonger ce qu’il appelle sa révolution bolivarienne contre l’opposition. Il s’est donné les moyens de rester au pouvoir. Jusqu’à présent ce n’est pas le cas d’Evo Morales. Lorsque Morales a modifié la constitution, il était appuyé par de larges secteurs sociaux. Et à l’issue de sa victoire électorale il a déclaré qu’il n’était pas candidat à un troisième mandat… 
     
    Au Venezuela, l’opposition a boycotté les dernières législatives ce qui fait qu’aujourd’hui le sénat est à 100% chaviste. On a connu quelque chose de similaire en Bolivie où l’opposition à refuser de voter le texte de la nouvelle constitution en jouant l’absentéisme. Mais depuis 2008, l’opposition et Evo Morales ont négocié. C’est la stratégie de l’opposition, de se poser en victime. Mais je pense que le système chaviste laisse beaucoup moins d’espace à l’opposition. Ce n’est pas le cas en Bolivie».


    Morales et Lula ne se représenteront pas pour un troisième mandat. Mais comme pour Chavez, ses ennemis le présentent comme un dictateur

    Round 5: Le respect des libertés de la presse

    « Il y a eu en 2006 quelques menaces de fermeture des chaines de télévision privées qui soutenaient l’opposition. Mais cela n’a pas été effectué comme au Venezuela (ndlr : Reporters Sans Frontières classe le Venezuela à la 124e place mondiale du respect des libertés de la presse. La Bolivie est 95e et le Brésil 71e).
     
    Puis surtout il y a eu l’année dernière l’arrestation et l’incarcération du préfet du département du Pando à la suite d’un dit massacre de paysans. Mais pour l’instant la justice a démontré que le préfet avait une responsabilité dans ce massacre. Morales a évidement profité de cet événement. L’opposition a crié au procès politique.
     
    Mais il n’y a absolument pas de craintes à avoir quant aux libertés individuelles. La classe moyenne a eu peur à un moment puisque les mesures de Morales s’appliquaient principalement par décret suprême. Le gouvernement ne s’appuyait que très peu sur le sénat. Mais la crainte s’est dissipée rapidement puisque la classe moyenne a aussi largement voté pour Morales. »
     


    Pas de fermetures de médias à l’inverse du Venezuela de Chavez

    Et le vainqueur est…

    La politique ce n’est pas un combat de boxe. Et ni le Brésil, le Vénézuela ou la Bolivie, n’ont les mêmes priorités économiques, sociales ou le même poids. Néanmoins certaines tendances rapprochent et éloignent leurs trois dirigeants. Si Morales s’affiche avec Chavez sur la scène internationale, il fonde aussi de solides alliances énergétiques et économiques avec Lula. De même, il est plus difficile de l’accuser d’autoritarisme que Hugo Chavez.

    En fait la Bolivie est au cœur de la lutte que se livrent les gauches brésilienne et vénézuelienne pour assurer leur leadership en Amérique du Sud. Surtout pour gagner ses réserves énergétiques. En attendant de savoir qui se taillera la part du lion, Club Bolivar (Bolivie), Deportivo Caracas (Venezuela) et les Corinthians de Sao Paulo (Brasil) se retrouveront à la Copa Libertador 2010, la Champion’s League sud-américaine.

    bqhidden. “Laurent Delacroix”:http://www.laurentlacroix.blogspot.com est chargé de recherche à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID) à Genève, coordinateur du réseau bolivianiste LAZOS et membre du comité directeur de la Bolivian Studies Association..

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